La BCE n’est pas la Fed
La présidente de la BCE, Christine Lagarde, en avait fait son cheval de bataille à la veille de l’été dernier : la BCE n’est pas la Fed. La Française a souligné que la BCE ne respecterait pas l’étiquette monétaire cette fois. Les deux banques centrales regardaient dans la (même) direction, celle d'une première baisse des taux, et c'est finalement la BCE qui, une fois n'est pas coutume, s'est lancée la première. Après aujourd’hui, l'idée que « la BCE n’est pas la Fed » prend encore une dimension supplémentaire. Pour la première fois depuis le rebond de l’inflation qui a suivi la pandémie de Covid et l’invasion russe de l’Ukraine, la déclaration de politique ne fait plus référence à la poursuite d’une politique monétaire restrictive. Contrairement à la Fed, Francfort s'est engagée sur la voie d'une politique neutre.
Pour l’instant, la fonction de réaction dépendante des données demeure intacte. En octobre, celle-ci avait débouché sur une intervention inattendue (-25 pb), basée sur seulement deux statistiques plus faibles (PMI et inflation). C'est cette même approche qui a conduit à une réduction du même ordre de grandeur aujourd’hui (à 3 %), au lieu d’une accélération à 50 pb comme en Suisse. Le solide chiffre du PIB du troisième trimestre (+0,4 % en glissement trimestriel) et la croissance historiquement élevée des salaires (+5,4 % en glissement annuel au troisième trimestre) ont pesé dans la balance. Certains membres de la BCE ont plaidé pour un retour à la méthode traditionnelle, à savoir déterminer la politique sur la base des prévisions de croissance et d’inflation. Si l’objectif d’inflation est menacé à terme, une telle approche justifierait une poursuite du cycle de normalisation, quels que soient les chiffres actuels. Sur la base des nouvelles prévisions, une telle approche proactive n’a pour l’instant pas beaucoup de sens. La trajectoire de l’inflation pour 2024-2026 (2,4 %-2,1 %-1,9 %) n'a pratiquement pas évolué par rapport à septembre (2,5 %-2,2 %-1,9 %) et, en outre, la première prévision pour 2027 se situe à nouveau juste au-dessus de l’objectif d’inflation de 2 % (2,1 %). Le scénario est similaire pour l’inflation de base. À terme, les révisions à la baisse de la croissance (0,7 %-1,1 %-1,4 %-1,3 % contre 0,8 %-1,3 %-1,5 %-x) comportent le risque potentiel d'une inflation inférieure à 2 %, surtout si les risques liés aux perspectives incertaines conduisent à une reprise encore plus faible.
En définissant sa politique sur la base de données antérieures, la BCE met provisoirement de l'eau dans son vin. Les incertitudes (politiques et économiques) globales, et a fortiori européennes, sont trop grandes pour déjà observer une amélioration des données économiques. L’inflation augmentera une dernière fois en décembre en raison des effets de base, avant de reprendre la voie des 2 %. Lagarde met déjà de côté ce taux d’inflation (plus élevé). Personne ne doute que le taux sera une nouvelle réduit de 25 pb en janvier. Sur la base des nouvelles prévisions, nous excluons une intervention plus importante, même si l’option était sur la table aujourd’hui. Le bref laps de temps entre les réunions de janvier et mars (36 jours) suggère une nouvelle baisse de 25 pb en mars (à 2,5 %), avant un nouveau moment d’évaluation important. Pour l’instant, la majorité des membres de la BCE parle d’une politique neutre (2,25 % ?) et pas d'une politique expansionniste. Nous continuons de penser que le marché (monétaire) européen anticipe des baisses de taux trop agressives (1,5 % fin 2025), mais nous ne voyons pour le moment pas de renversement de la dynamique sur la partie courte de la courbe. L’euro reste ainsi sur la défensive. Le cours EUR/USD se dirige vers son plus bas de l’année, à 1,0335.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC