(Avant-)dernier relèvement de la Fed ?
C'était écrit dans les étoiles : la réunion de politique de la Fed s'est soldée par un jugement à la Salomon. Les arguments qui, il y a deux semaines, plaidaient encore fortement en faveur d’un resserrement des taux de 50 points de base (inflation tenace, marché de l’emploi très tendu) ont dû céder du terrain face aux conséquences de la crise bancaire. Le taux directeur a donc finalement été relevé de 25 points de base et se trouve désormais dans une fourchette cible de 4,75-5 %. Le portefeuille obligataire continuera d'être réduit à un rythme de 95 milliards de dollars par mois, même si le bilan de la Fed a (provisoirement) renoué avec la croissance suite aux crédits d’urgence qu’elle a récemment octroyés.
Et maintenant? Tout dépendra des données bien sûr. Les nouvelles prévisions trimestrielles donnent néanmoins un indice clair en ce qui concerne le scénario de la Fed. L’inflation restera ainsi plus élevée que prévu cette année (inflation PCE à 3,3 % au lieu de 3,1 % fin 2023). Le taux de chômage restera pour sa part faible pendant plus longtemps (4,5 % à la fin de cette année). Dans le même temps, la banque centrale a revu ses prévisions de croissance à la baisse (de 0,5 % à 0,4 % pour cette année et de 1,6 % à 1,2 % pour 2024). Les resserrements monétaires déjà opéré vont de plus en plus percoler dans l’économie. Et ce phénomène sera probablement alimenté par les récentes turbulences financières. Powell a beau ne pas s’inquiéter de la santé structurelle du système financier, les récentes tensions vont provoquer un resserrement des conditions de crédit et peser sur les octrois de crédits. Cela renforcera le mécanisme via lequel la Fed tente de contenir l’inflation par le biais d’une contraction de la demande. Toutes choses étant égales par ailleurs, Powell et ses collègues devront donc moins relever les taux.
Dans sa communication à propos de ce à quoi il faut s'attendre, la Fed est passée de « nouveaux relèvements ininterrompus » en février à un « nouveau resserrement si nécessaire ». La plupart des gouverneurs tablent sur une nouvelle hausse de taux à 5-5,25 %. Si tout se passe comme la Fed le prévoit/l'espère, le cycle de taux est désormais entré dans sa dernière ligne droite.
La réaction du marché ressemble à ce que nous avons déjà observé récemment. Les taux ont plongé de 25 points de base sur la partie courte de la courbe. D’ici janvier 2024, le marché table déjà sur des baisses de taux cumulées de 75 points de base. Powell a pourtant déclaré à plusieurs reprises qu’aucun abaissement de taux n'était prévu pour cette année dans le scénario de base.Le marché suit cependant sa propre logique. Si une banque centrale indique que le pic des taux est en vue, le marché tentera par définition d'anticiper le timing (et la rapidité) du prochain cycle d’assouplissement. Les taux à long terme se sont également fortement repliés, principalement en raison d’une baisse des taux réels (taux à 10 ans en dessous de 3,5 %). Le marché s’attend à un net ralentissement de la croissance, voire pire. Il exclut le scénario selon lequel les dommages causés par les récentes turbulences resteraient acceptables, le marché de l’emploi solide et l’inflation élevée. Dans ce cas, la Fed se mettrait déjà trop rapidement sur la touche. Il faudra beaucoup de données solides pour remettre la banque centrale américaine et les marchés sur cette voie.
L’affaiblissement de l’engagement de la Fed en faveur de la lutte contre l’inflation pèse lourdement sur le dollar et contraste fortement avec la détermination de la BCE, encore confirmée hier. Le cours EUR/USD a franchi le niveau de résistance de 1,0803. Le record de l’année de 1,1033 se profile à l’horizon. L’euro qui profite d’une prime de crédibilité de la BCE par rapport à Fed. Qui aurait osé imaginer cela il y a 6 mois ?