Une âpre et longue guerre technologique se profile

Opinion économique

Les accusations proférées par Donald Trump à l'égard de Huawei symbolisent l'escalade de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine en une guerre technologique entre les deux grandes puissances. Le président américain justifie son offensive en invoquant les pratiques déloyales de la Chine, en particulier sa politique commerciale qui perturbe le marché et la violation des droits de propriété intellectuelle. La transition de la Chine vers une économie axée sur la technologie repose toutefois sur des investissements efficaces dans l'innovation et la valorisation, un terrain sur lequel la Chine dépasse largement les pays occidentaux. Contrairement au conflit commercial, qui pourrait être réglé à court terme, la bataille technologique est loin d'être terminée. Un rôle de leader attend la Chine dans l'économie mondiale. La coopération plutôt que la confrontation est la meilleure garantie d'assurer notre prospérité à long terme, mais une position américaine et européenne plus affirmée est nécessaire au maintien d'un équilibre. Cette fois, nous aurions intérêt à écouter Donald Trump...

La Chine nouvelle est arrivée

La montée en puissance de la Chine sur la scène mondiale s'est déroulée en plusieurs phases. Le développement d'une industrie orientée vers l'exportation en a fait 'l'usine du monde'. La Chine s'est montrée avide de connaissances occidentales, qu'elle a acquises tant en participant à des joint-ventures qu'en important directement technologies et machines occidentales. La percée chinoise a ouvert d'énormes opportunités aux entreprises occidentales qui ont pu proposer leurs produits et services sur le marché chinois, d'une part, et réduire leurs coûts de production, d'autre part, en délocalisant leur production. Probablement aveuglées par les opportunités bénéficiaires attendues à court terme, peu d'entreprises se sont préoccupées de cette situation. À plus long terme, nous constatons aujourd'hui que cela a permis à la Chine de devenir un acteur de premier plan dans les secteurs de haute technologie à plus forte valeur ajoutée, conformément à ses objectifs officiels. L'avance technologique chinoise n'est donc pas une phénomène éphémère, mais une tendance structurelle qui provoque une distorsion du marché mondial. Ce constat, qui s'est récemment imposé de manière évidente lorsqu'il est apparu qu'aucune autre entreprise au monde que Huawei ne pouvait déployer le réseau 5G d'une manière aussi quantitative (en termes de volume de production et de vitesse) et qualitative (en termes de normes technologiques), a ébranlé tant les entreprises que le monde politique.

Le succès de Huawei est souvent attribué à des pratiques chinoises déloyales. Le non-respect de la protection internationale de la propriété intellectuelle pose tout particulièrement problème. Cette interprétation est correcte, mais pas totalement. La Chine a depuis longtemps quitté le stade du progrès technologique par l'imitation et l'ingénierie inversée. Des investissements structurels substantiels dans la recherche et le développement lui ont en effet permis de s'imposer sur la carte technologique mondiale. Le figure 1 montre que les dépenses de recherche et développement de la Chine (en % du PIB) ont considérablement augmenté ces dernières années. La Chine est désormais à égalité avec l'UE qui, malgré de nombreuses intentions politiques, réussit à peine à augmenter ses investissements dans la recherche et le développement. L'objectif de l'Agenda de Lisbonne (2000) et de l'Europe 2020 (2010) d'investir 3% du PIB dans la recherche et le développement s'avère irréalisable, même après près de 20 ans.  

Figure 1 - Dépenses de recherche et développement, en % du PIB

Source: KBC Economics d'après Eurostat et NBS

Nous n'avons que ce que nous méritons!

Il est facile de pointer la Chine du doigt, mais il serait plus juste de reconnaître le retard systématique non seulement de l'Europe, mais aussi peu à peu des États-Unis. La rapidité avec laquelle la Chine opère sa mise à niveau technologique est sans précédent dans l'histoire. Les dépenses en recherche et développement ne sont certainement pas le seul critère permettant de mesurer l'innovation, mais elles représentent un signal important. D'autres indicateurs révèlent en effet la formidable percée de la Chine. Le nombre de brevets octroyés à des entreprises étrangères aux États-Unis montre une augmentation considérable en pourcentage de la présence de la Chine sur le marché technologique américain.

Pas le commerce, mais la technologie

L'acharnement américain contre Huawei fait suite à une escalade du conflit commercial. Il est désormais évident que ce n'est pas le commerce, mais le leadership technologique et donc économique dans le monde qui est au cœur des tensions entre les États-Unis et la Chine. Lors des récentes négociations sur un accord commercial, il est en outre apparu que la Chine était prête à faire des concessions dans le domaine du commerce. Mais s'écarter fondamentalement de sa stratégie qui consiste à devenir la première économie et la première puissance mondiale par son leadership technologique va trop loin pour elle.

Même si les États-Unis imposaient des sanctions beaucoup plus sévères aux acteurs technologiques chinois, la stratégie chinoise n'en souffrirait probablement pas. Récemment, une nouvelle guerre froide économique a même été évoquée. Il est vrai que les mesures américaines nuisent à l'économie chinoise. Outre les conséquences négatives d'un protectionnisme accru, l'incertitude actuelle pèse sur celle-ci. Pour l'instant, les mesures de relance budgétaire et monétaire permettent aux autorités chinoises de maintenir l'économie sur la voie d'un atterrissage économique en douceur. La croissance économique chinoise du premier trimestre 2019 a même surpris positivement. Une telle relance n'est cependant pas viable à long terme, notamment parce que la dette totale de la Chine excède déjà 250% de son PIB. Il est cependant faux de penser que l'agressivité américaine actuelle convaincra la Chine de changer de cap. En plus de son vaste marché intérieur, la Chine est maintenant beaucoup plus intégrée dans l'économie mondiale grâce aux investissements internationaux et à la multiplication des contacts commerciaux, ce qui la rend très résistante. Outre une meilleure résilience, la Chine peut compter sur la grande flexibilité de son économie. La mise en œuvre des changements y est rapide, à l'inverse de la lenteur des économies de marché occidentales et démocratiques.

Une guerre froide économique n'est bonne pour personne. À long terme, il ne faut pas sous-estimer l'importance du marché libre en tant qu'incitant ultime à l'innovation et au progrès économique. Bien que la Chine soit actuellement le leader technologique, il reste à voir si elle sera en mesure de maintenir ce rôle dans son modèle politique et économique actuel. L'immense potentiel de la coopération internationale entre l'Occident et la Chine réside surtout dans le rapprochement de deux mondes: l'incitant intrinsèque à l'innovation permanente généré par une économie de marché, combiné à la rapidité de mise en œuvre d'une économie planifiée au niveau central. Espérons que nos dirigeants politiques le comprennent rapidement. Mais cette prise de conscience n'étant probablement pas pour tout de suite, une âpre et longue guerre technologique se profile.

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