Début (officiel) d’une nouvelle ère?
Les marchés (et la Fed) s’en préoccupent déjà – certains diront “seulement” – depuis l’automne dernier: à quand la réduction du soutien monétaire de masse? Dans le contexte de l’épidémie de coronavirus, les conditions monétaires extrêmement souples ont soutenu la demande économique pour éviter un effondrement. Cette conjoncture a entraîné une symbiose inédite entre la politique monétaire et la politique budgétaire. Les banques centrales ont acheté de nombreux effets publics (et d’autres actifs), une approche qui avait “naturellement” pour objectif premier le maintien de conditions monétaires souples. En même temps, grâce à cette impression de billets, les gouvernements ont pu utiliser au maximum le levier fiscal à un coût minimal. Et pourquoi pas? Depuis la crise financière, l’inflation n’a quand même pas atteint l’objectif de 2% (1,7% en moyenne aux États-Unis, 1,2% dans l’UEM). Pourtant, les conditions monétaires ultra-souples ne sont pas uniquement dues au coronavirus. Avant la pandémie, le taux des fonds fédéraux de 1,75% ne pouvait guère être qualifié de chiche, et la Fed n’avait qu’en partie réduit son bilan de création de liquidités résultant de la crise financière. L’impact déflationniste du coronavirus a été de courte durée. À présent, l’objectif de dépassement de l’inflation s’avère un peu trop réussi: avec des swaps d’inflation à 10 ans supérieurs à 3%, la Fed n’a d’autre choix que d’intervenir pour retrouver sa crédibilité en la matière. Pour la première fois depuis décembre 2015, elle entame donc cette semaine encore un véritable “cycle de resserrement”. Tournant historique s’il en est. Où ce cycle nous mènera-t-il?
Avant l’invasion russe en Ukraine, le président Powell avait déclaré sa ferme intention de dompter l’inflation débridée (7,9% en glissement annuel en février). À la mi-février, le marché tenait compte d’un taux “peu orthodoxe” de 50 points de base pour commencer. Jusqu’à présent, la Fed signale que les retombées de la crise en Ukraine sur l’économie américaine pourraient rester limitées. Cependant, le moment n’est pas venu de “brusquer” les attentes ajustées des marchés pour un relèvement de 25 points de base. Nous avons toutefois hâte de découvrir les perspectives des gouverneurs de la Fed (dots). Quel regard portent-ils sur l’équilibre entre la croissance qui s’essouffle et l’inflation qui persiste, et quelles conclusions en tirent-ils pour la trajectoire attendue du taux directeur? Le marché table sur une “contre-valeur” d’au moins six relèvements de 25 points de base au cours des 7 réunions de politique de cette année. En décembre, la majorité des gouverneurs anticipaient toujours que le taux directeur serait inférieur au “taux neutre” de 2,5% fin 2024. Mais vu la flambée récente de l’inflation, il serait logique que ce niveau soit atteint, voire dépassé. Reste à savoir dans quelle mesure le marché est prêt à croire à ce nouveau type de “guidance” de la Fed. Jusqu’à présent, il a été réticent à miser sur un taux directeur supérieur à 2,00/2,25%. En effet, s’il faut compter avec un ralentissement de la croissance/de l’emploi, le marché n’est pas sûr que la maîtrise de l’inflation restera une priorité de la Fed. Nous attendons également de voir dans quelle mesure Powell défendra l’option d’un tempo accéléré de +50 points de base. Il y a de la marge pour des taux plus élevés. Reste seulement à savoir si la “forward guidance” fonctionnera dans le contexte difficile actuel…
Outre les taux d’intérêt, la Fed informera le marché du démantèlement de son bilan, c’est-à-dire de la réabsorption des liquidités qu’elle a distribuées par le biais des achats d’obligations. Il n’est pas sûr que la Fed communique tous les détails sur la composition, le rythme et le début de la réduction progressive. Elle a néanmoins déjà indiqué qu’il faudrait aller beaucoup plus vite qu’en 2017/2019. La symbiose entre la politique monétaire et la politique fiscale sera donc rompue, justement au moment où un nouvel effort lui est demandé pour atténuer la perte de pouvoir d’achat due à l’inflation élevée. Si ce n’est pas une perspective agréable pour le(s) gouvernement(s), cela ne l’est pas non plus pour une banque centrale qui a pour objectif le plein emploi.
Peter Wuyts, salle des marchés KBC