Les taux américains prennent les devants
Y a-t-il des mécontents à Washington ? Certainement ! Par exemple, les membres de la Fed qui ont contre leur gré accepté de ne pas relever les taux en juin. Mais aussi les membres de la Fed qui pensaient qu’après un an de resserrement, il y aurait de la marge pour une posture attentiste. Comme il faut toujours quelqu'un pour ouvrir la voie, la Fed pourrait relever son taux directeur de 50 points de base en juillet afin de ne pas devoir courir encore davantage derrière les faits.
Le long week-end du 4 juillet aux États-Unis a clairement donné l'occasion de réfléchir. Dès le retour aux affaires mercredi après-midi, le train des taux US a redémarré sans jamais faire machine arrière. Avec un nouvel élan à chaque arrêt. Premier arrêt : une rupture technique à la hausse du taux américain à 10 ans (3,86 %). Deuxième arrêt : le procès-verbal de la dernière réunion de la Fed. Dans le document, l'inflation et la croissance sont à de nombreuses reprises qualifiées d'élevées. Par ailleurs, l’influent staff de la Fed a réduit les risques de récession dans le scénario le plus probable à 50/50 et la plupart des membres de la banque centrale veulent encore procéder à AU MOINS deux relèvements de taux supplémentaires. Troisième arrêt : un quatuor de chiffres économiques publiés hier après-midi. Le rapport sur l’emploi du secrétariat social ADP : 497 000 nouveaux emplois créés. Il s’agit du chiffre le plus élevé depuis juin de l’année dernière et d’un niveau nettement plus élevé que celui attendu par le marché (+225k). Les demandes d’allocations de chômage hebdomadaires : après un rebond début juin, deuxième semaine consécutive en dessous de 250k. Postes vacants : un peu moins de 10 millions. Moins que le record de 12 millions enregistré au premier trimestre de 2022, mais largement au-dessus du sommet d’avant la pandémie de 7,5 millions. Cerise sur le gâteau : l'indicateur de confiance ISM pour le secteur des services. Hausse inattendue de 50,3 à 53,9 (consensus : 51,2), le niveau le plus élevé depuis février. Les chiffres détaillés font état de fortes hausses de la production, des nouvelles commandes et de l’emploi. Terminus : les payrolls cet après-midi. Il ne faudrait pas grand-chose pour mettre à nouveau le feu aux poudres.
Les taux américains à 2 et 10 ans ont testé leurs sommets annuels respectifs de 5,09 % et 4,09 %. Des niveaux qu'ils affichaient à la veille de la crise bancaire régionale américaine. Avec le recul, il semble que l'on ait perdu trois mois de temps précieux dans la lutte contre l’inflation. Le prix à payer pour rattraper ce retard paraît élevé. Les banquiers centraux ont eux-mêmes mis en garde : se reposer trop vite sur ses lauriers signifiera un mouvement de rattrapage plus long par la suite. La hausse des taux est dictée par les taux réels. Les marchés ont la tête dure. Depuis la chute de SVB, ils ont longtemps estimer que les banquiers centraux allaient (devoir) mettre fin prématurément à leur lutte contre l’inflation pour sauver la croissance et préserver la stabilité financière. Comme redouté, ils font maintenant machine arrière. Une seule aiguille guide aujourd'hui la boussole des banques centrales. Des pics de taux plus élevés et pour plus longtemps. Les taux d’intérêt européens et britanniques ont également accroché leur wagon. Le taux allemand à 10 ans a franchi le seuil de résistance de 2,56 % et a désormais son sommet annuel de 2,76 % dans le viseur. Le mouvement rapide des taux a pesé sur le sentiment en bourse. Les principaux indices européens ont enregistré des pertes de 3 %. Les grandes devises se donnent pour l’instant peu de marge de manœuvre, mais le contexte joue en faveur du dollar et du yen. Les devises plus petites comme celles d’Europe centrale ou les couronnes scandinaves paient l'addition.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC