Le dernier fait d’armes provisoire de la BCE
Hier, la Banque centrale européenne a écrit l'histoire. Elle a relevé ses taux directeurs de 25 points de base. Le taux de dépôt, le plus important d’entre eux à l’heure actuelle, passe donc à 4 %. Il s’agit de son niveau le plus élevé depuis la création de l’union monétaire à la fin du siècle dernier.
Au cours de ces 18 derniers mois, nous avons assisté à de nombreux événements que nous n'hésiterons pas à qualifier d'historiques. Le 4 février 2022, la présidente de la BCE, Christine Lagarde, a provoqué du mouvement sur le marché des taux, avec une hausse de >10 pb, tout à fait exceptionnelle à l’époque, suite à sa déclaration qu'elle n'excluait plus des relèvements de taux. Le 21 juillet, la BCE a joint le geste à la parole en procédant à son premier resserrement depuis 2008 (si on laisse de côté les interventions isolées de 2011). Et pas avec les 25 pb habituels, mais bien deux fois plus. La BCE a ainsi mis un terme aux taux directeurs négatifs qui étaient en vigueur depuis 2014. Le rythme s’est ensuite encore accéléré pendant un moment, avec une intervention inédite de 75 pb. Pendant tout le cycle de resserrement, la BCE n’a pas retiré le pied de la pédale de frein une seule fois.
Depuis quelques années, la BCE se profile comme un véritable faucon. Certains doivent encore s'y habituer. Avant la réunion d’hier, ni les analystes ni le marché n’étaient entièrement convaincus que la banque allait encore relever ses taux. Ils n'excluaient pas un statu quo étant donné la rapide détérioration des conditions économiques, tant en Belgique qu’ailleurs. La BCE a en effet revu ses prévisions de croissance à la baisse. Et même de manière significative dans certains cas (de 1,5 % à 1 % pour 2024). Mais au bout du compte, c’est encore le niveau élevé de l’inflation (5,3 %) qui a prévalu. Celle-ci est toujours attendue au-dessus de l’objectif de 2 % sur l’ensemble de l’horizon de politique.
Officiellement, la BCE pourrait encore relever ses taux après hier. Lagarde n'a pas expressément écarté cette possibilité pendant la conférence de presse. Mais entre les (nouvelles) lignes de la déclaration de politique, on peut lire que la banque centrale privilégierait plutôt une longue (!) pause. « Sur la base de son évaluation actuelle, le Conseil d’administration estime que les taux de base de la BCE ont atteint un niveau qui, s'il est maintenu suffisamment longtemps, contribuera de façon substantielle au retour de l'inflation à son objectif.» Dans la pratique, ce scénario à l'image du Tafelberg sud-africain implique une pause en octobre, suivie d’une évaluation fondée sur de nouvelles prévisions en décembre. Dans le journal britannique Financial Times, des sources de la BCE non citées ont déjà mis en garde contre d’éventuelles nouvelles hausses de taux dans le cas où l’inflation ou la croissance des salaires ne ralentissait pas suffisamment rapidement.
Les marchés financiers regardent vers l'avant. Ils anticipent aujourd’hui ce qui se passera demain. Vu le contexte, nous comprenons que le débat se concentre à présent sur le premier abaissement de taux. Cela explique pourquoi les taux européens se sont, certes de manière mesurée, repliés hier. Nous ne nous attendons toutefois pas à une correction significative. Une telle correction ne se produira qu'en cas de virage aussi soudain qu’improbable de la BCE. En outre, la banque continue aussi de réduire la taille de son bilan. Cela soutient surtout les échéances plus longues sur la courbe des taux européenne. Les spéculations autour d’une accélération de ce processus, via des ventes supplémentaires du portefeuille APP ou une fin anticipée des réinvestissements du PEPP, renforcent encore cet effet. L’euro risque de souffrir, surtout vis-à-vis du dollar. Grâce à la résilience de l’économie américaine, le billet vert devrait pouvoir compter sur davantage de soutien des taux, pas tant lors de la réunion de la Fed la semaine prochaine, mais peut-être plus tard. Le cours EUR/USD est proche d’un important niveau de support de 1,0635. Une rupture sous ce seuil ouvrirait la voie vers le plus bas annuel de 1,0484.