Dépendance aux données : une arme à double tranchant
Mercredi, l'annonce faite par la Fed lors de la publication de sa décision de taux que tout nouveau relèvement serait entièrement tributaire des données n’a pratiquement laissé aucune trace sur le marché des taux. Les investisseurs espèrent visiblement que les ajustements limités de la Fed déboucheront sur un atterrissage en douceur de l’économie. Le calme règne. La BCE disposait donc d'une base idéale pour sa propre réunion de politique. Hier, Lagarde et ses collègues sont également passés à une approche fondée sur la dépendance aux données. Mais cette annonce n'a pas été accueillie avec le même calme que celle de la Fed. Même s'il faut bien admettre que les fluctuations de ces dernières 24 heures ne doivent certainement pas être entièrement mises sur le compte de BCE.
La BCE a, comme prévu, relevé son taux de facilité de dépôt de 25 points de base à 3,75 %. Dans son communiqué, la banque explique que l'inflation a certes ralenti, mais qu’elle restera probablement trop élevée pendant trop longtemps. La BCE ne veut cependant plus s’engager a priori sur d'éventuels nouveaux resserrements. Tant l’ampleur des nouvelles hausses de taux que leur timing dépendront désormais entièrement des données. Bref, un « copier-coller » de la Fed. L’inflation extérieure évolue dans la bonne direction, mais l’inflation intérieure reste un problème, notamment en raison de la hausse des salaires et des marges bénéficiaires toujours solides. Cela n’a pas vraiment fait forte impression sur le marché. Les taux européens ont à un moment perdu jusqu'à 10 points de base. Les marchés ont estimé que cette dépendance aux données signifiait que la BCE était, quoiqu’il arrive, déjà proche de son pic de taux, voire qu'elle l’aurait déjà atteint.
Précisément au moment où la présidente de la banque centrale, Christine Lagarde, tentait de démontrer que cette dernière analyse n’était pas correcte, un sérieux coup de semonce est venu des États-Unis. Le hasard a en effet voulu que la première série de statistiques publiées outre-Atlantique après la réunion de la Fed a dépassé les attentes. Au deuxième trimestre, la croissance s’est accélérée à 2,4 % (sur une base annualisée) en raison de la vigueur persistante de la consommation et d’une reprise des investissements. Les commandes de biens durables ont fortement progressé et les demandes d'allocations de chômage ont continué de baisser. Ce n’était pas clair pour tout le monde au début, mais la dépendance aux données est bel et bien une arme à double tranchant. Les taux américains ont fortement rebondi.
Et un malheur ne vient jamais seul. Le marché des taux a ensuite encore été secoué une émission d’obligations d’État américaines compliquée et un article paru dans le quotidien japonais Nikkei selon lequel la Banque du Japon s'apprêterait à ajuster sa politique monétaire extrêmement souple de contrôle de la courbe des taux. Si même la BoJ s'engage sur la voie de la normalisation des taux... Les taux américains ont bondi de 13 points de base ! Le taux à 10 ans a franchi le cap des 4,0 %. Les informations publiées par le Nikkei ont d’ailleurs été confirmées ce matin. La BoJ va en effet autoriser, de manière contrôlée, le taux à 10 ans à dépasser la barre de 0,5 %. La nouvelle limite est fixée à 1 %.
Moralité. La dépendance aux données ne signifie donc pas que le sommet du cycle des taux a été atteint, surtout dans un contexte où les marchés des taux, tant aux États-Unis qu’en Europe, n’anticipent plus de relèvement complet de 25 points de base. Comme les données ne vont certainement pas toutes évoluer dans le même sens, nous nous attendons, d’ici les réunions de septembre de la Fed et de la BCE, à de nouvelles fluctuations comme celles que nous avons connues ces dernières 24 heures. Sur le marché des changes, le dollar et le yen ont été les premiers gagnants de ce regain de volatilité. L’euro a été à la peine. Le cours EUR/USD est ainsi passé du milieu de la zone de 1,11 hier à 1,095 aujourd’hui. Cela signifie beaucoup sur le plan technique. Le prochain seuil important se situe à 1,0834. Avec, entre autres, les chiffres du PIB et de l’inflation européens prévus aujourd’hui et au début de la semaine prochaine, il est évident que la dépendance aux données jouera dans les deux sens.