La banque centrale turque opère un virage
La réunion de la banque centrale turque (TCMB) de jeudi dernier était attendue avec impatience. Après sa réélection, le président Erdogan a nommé une ancienne banquière respectée de Goldman Sachs, Hafize Gaye Erkan, à la tête de l'institution. Cette nomination a ravivé l’espoir de voir la banque centrale abandonner sa politique monétaire peu orthodoxe, avec une forte hausse des taux visant à contenir l’inflation galopante et restaurer sa crédibilité.
La montagne a finalement accouché d'une souris.
La réunion de la TCMB n'a pas vraiment répondu aux attentes. Au vu de la réaction des marchés, on peut en déduire que ceux-ci espéraient plus que le relèvement à 15 % opéré par la TCMB (venant de 8,5 %). Dans la plupart des économies, une hausse soudaine de 650 points de base du taux directeur entraînerait une déflation et une récession. Dans la Turquie hyperinflationniste, où l’inflation avoisine les 40 % selon les sources officielles et dépasse les 100 % selon des chercheurs indépendants, un tel resserrement demeure toutefois largement insuffisant. Les taux réels restent en effet largement négatifs.
Ce relèvement « limité » des taux laisse supposer que la nouvelle présidente n’osera pas administrer la dose de resserrement monétaire nécessaire (avec, comme effet secondaire, un important ralentissement de la croissance) pour maîtriser l’infection hyperinflationniste (ou qu'elle ne le fera, dans le meilleur des cas, que de manière progressive). Il est possible que le président Erdogan tire toujours les ficelles en coulisses.
Sans réelle surprise, la lire turque a de nouveau dévissé. Après une perte de pratiquement 4 % jeudi, la monnaie a encore cédé un peu plus de 2 % vendredi. En cinq ans, la lire a perdu près de 80 % de sa valeur. Entre-temps, les Turcs sont massivement à la recherche d'alternatives. Les prix de l’immobilier ont ainsi bondi de 51 % l’année dernière (en termes réels !) selon une étude de la BRI.
Une pression supplémentaire sur la lire ?
Pour l’instant, la lire continue de toucher de nouveaux planchers chaque jour. Le déficit de la balance commerciale continue de grimper et constitue une faiblesse structurelle. En outre, les mesures visant à soutenir artificiellement la lire touchent à leur fin. La banque centrale a ainsi épuisé ses réserves de change et celles-ci sont même désormais tombées en négatif. De nombreuses réglementations gouvernementales soutenant la lire seront également supprimées, en raison de leur coût élevé pour les banques, les entreprises, les particuliers et les finances publiques. Le gouvernement a ainsi déjà annoncé que les banques devront conserver moins de réserves supplémentaires en contrepartie de leurs dépôts en devises étrangères. Le système KKM, qui protège les déposants contre une dépréciation de la lire et qui coûte beaucoup d'argent public, devrait aussi être limité. Enfin, la lire a encore besoin du soutien de la banque centrale pour pouvoir trouver un nouvel équilibre. La TCMB a indiqué qu’elle poursuivrait sa normalisation de manière progressive. Reste à savoir si cela satisfera le marché.