Nouvelle étape dans la normalisation de la Fed
Le dérapage de l’inflation oblige les banques centrales à anticiper et/ou à accélérer la normalisation de leur politique. La Suède et l’Australie ont ainsi récemment abandonné leur position attentiste. Hier, la banque centrale polonaise a quant à elle dépassé les attentes les plus folles des analystes en relevant son taux directeur de 100 points de base à 4,5 %. La Fed a déjà clairement indiqué que l’approche classique de resserrements progressifs ne suffirait pas. Le taux directeur devra être rehaussé lors des six réunions restantes de l'année. Et même à chaque fois de 50 points de base au cours des prochains mois. En outre, la banque centrale américaine va commencer à réduire progressivement son bilan. Nous en avons appris davantage à ce sujet hier grâce au procès-verbal de la réunion de mars.
Petit récapitulatif. En plus de l’abaissement du taux directeur jusqu’au niveau zéro absolu, la Fed a également procédé à des achats massifs d’obligations. Cela a permis de maintenir les taux à long terme bas et d'inonder le marché de liquidités. Celles-ci ont percolé dans l’économie et dans pratiquement tous les actifs. Au début de la pandémie, la Fed détenait environ 4 000 milliards de dollars d’actifs à son bilan, en grande partie "hérités" de la précédente grande campagne de stimulation enclenchée après la crise financière de 2008/2009. Le démantèlement réalisé en 2017/2019 n’a débouché que sur une baisse limitée de ces actifs. Les énormes mesures de soutien prises dans le cadre de la crise du coronavirus ont depuis fait gonfler le bilan à environ 9 000 milliards de dollars. Dans un premier temps, Powell avait indiqué que la réduction progressive du bilan serait peut-être un processus "secondaire". La normalisation devait surtout passer par la politique de taux. Mais les points de vue peuvent rapidement évoluer. Face à l’accélération de l’inflation, il n'y a aucune raison de laisser traîner plus longtemps les liquidités créées par les achats. En ne réinvestissant pas les obligations (une partie de celles-ci) qui arrivent à échéance, la Fed retirera cet argent du marché. Elle va rapidement s'y atteler : le coup d’envoi officiel sera donné lors de la réunion du 4 mai. Cela ira vite (3 mois). En vitesse de croisière, le bilan se contractera de 95 milliards de dollars par mois (60 milliards de dollars d’obligations d’État et 35 milliards de MBS, des titres adossés à des hypothèques). La Fed envisage même de vendre par la suite activement ces MBS et de s'en débarrasser totalement.
Nous nous sommes un peu habitués aux changements de rythme, mais le pas qui vient d'être franchi est considérable. Avec 95 milliards de dollars, la cadence est deux fois plus élevée qu’en 2019. Le revirement est également rapide : le mois dernier, la Fed achetait encore des obligations.
Qu'est-ce que cela implique pour les marchés ? Les sorties de liquidités seront importantes, ce qui aura des conséquences inévitables sur la demande économique et sur les marchés d’actifs. Sur le marché obligataire, le principal acheteur d’obligations deviendra à présent un vendeur net. Il est possible que l’offre nette diminue également via un déficit budgétaire plus faible, mais, toutes choses étant égales par ailleurs, cela augmentera la pression haussière sur les taux sur les échéances plus longues. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé hier. Les taux américains à 10 ans et 30 ans ont gagné 5 points de base. Les courtes échéances se sont détendues (en raison de l’aversion pour le risque). La dynamique des courbes est bien entendu déterminée par différents facteurs. Ainsi, la courbe s’est récemment aplanie en raison des incertitudes par rapport à la croissance. Cependant, le "resserrement quantitatif" entraînera probablement une nouvelle pression à la hausse sur les taux à long terme.