Inflation plus élevée ! Taux d’intérêt... plus bas !
Les deux moments forts de la semaine pour les marchés étaient programmés en même temps hier : la décision de politique de la BCE (annexe à la conférence de presse) et le rapport sur l’inflation américaine pour le mois de mai. C’est surtout la réaction du marché aux chiffres de l'inflation US qui s'est avérée pour le moins surprenante.
Pas besoin de longues explications en ce qui concerne la BCE. Les colombes ont de nouveau pris le dessus sur les faucons. La BCE continuera d'acheter des obligations à un rythme plus soutenu dans le cadre de son programme PEPP. Tant les prévisions de croissance (4,7 % en 2021 et 4,6 % en 2022) que les prévisions d’inflation (1,9 % en 2021 et 1,5 % en 2022) ont été revues à la hausse. Le rebond de l’inflation est toujours qualifié de "temporaire". Les achats du PEPP pourraient ralentir cet été en raison d'une plus faible liquidité du marché, mais il s’agit d’un "détail technique". Malgré l’amélioration de la croissance et la hausse de l’inflation, la BCE veut à tout prix éviter une hausse indésirable des taux d’intérêt. Le marché n'a pas été surpris. Les taux d’intérêt européens ont reculé de 1 à 2 points de base, un recul de nouveau très lié à ce qui s’est passé aux États-Unis.
L’inflation américaine a grimpé à exactement 5 % en mai, son niveau le plus élevé depuis 2008. L’inflation de base (qui ne tient pas compte des prix volatils de l’alimentation et de l’énergie) a également dépassé les attentes (3,8 % en glissement annuel). Les taux d’intérêt ont fait une timide tentative de remontée, mais rien de convaincant. S'en est suivi un bel exemple de logique de marché contre-intuitive : "what can't go up, must come down". Autrement dit, si le marché ne réagit plus à un signal clair, cela signifie que le sujet, le risque d’inflation dans ce cas-ci, est probablement déjà intégré dans les cours et qu'il est temps d’ajuster la position. Ce repositionnement a déjà provoqué un recul des taux à long terme. Le taux américain à 10 ans est ainsi tombé sous le plancher de sa fourchette latérale (1,46 %), qui oriente les échanges depuis mars. Cela peut déjà compter comme indicateur de sentiment. L’abondance des liquidités sur le marché monétaire peut également en partie expliquer la ruée sur les obligations. Cela fait des jours que les banques placent un montant record d’excédents inutilisés auprès de la Fed.
Outre ces explications techniques, il faut aussi essayer de placer ce mouvement dans la réalité économique. Un taux à 10 ans inférieur à 1,5 % avec une inflation de 5,0 % et une croissance attendue à plus de 6 % cette année : un cocktail qui ne correspond pas vraiment à ce que l'on apprend dans un cours d’économie classique. Il est toujours dangereux de "surinterpréter" les mouvements journaliers de variables dérivées comme les prévisions d’inflation ou les taux réels. Mais le plongeon de 10 points de base du taux réel américain (10 ans) hier a tout de même de quoi surprendre ! Il s'agit d'un mouvement assez exceptionnel. Nous tentons tout de même une explication. Première explication : le marché partage entièrement l'avis de la Fed à propos du caractère temporaire de l’inflation et est convaincu que la banque sera très prudente en réduisant ses achats d’obligations. Un taux réel bas en raison du maintien de la compression financière par la Fed, donc. La plupart des acteurs du marché pourraient vraisemblablement s'en accommoder. Une autre explication, moins sympathique, serait que le marché commence à douter du scénario très optimiste concernant la croissance. Une chose beaucoup plus difficile à entendre. Au vu des données, il n'y a pour le moment pas vraiment de raisons de penser cela. Reste qu'il vaut mieux se mettre un peu sur ses gardes lorsque le marché réagit de manière contre-intuitive. Faut-il s'attendre à un changement de thème et peut-être aussi à un peu plus de volatilité ?
En dehors du marché des taux, il ne s'est rien passé de spécial. Les bourses se maintiennent aux alentours de leurs récents sommets. Le dollar a également clôturé sur un statu quo, après quelques petites fluctuations en cours de séance. Nous attendons désormais la décision de politique de la Fed mercredi prochain. Nous pourrons alors faire le point sur les suppositions émises ci-dessus.