Lagarde for ECB president!
Le sort en est jeté. Hier, le grand jeu des chaises musicales européen a abouti à la nomination d’un nouveau président de la Commission européenne: sous réserve d’approbation du Parlement européen, ce sera la ministre allemande de la Défense Ursula von der Leyen. Mais il restait encore un autre poste clé à attribuer, celui de la présidence de la BCE. C’est la Française Christine Lagarde qui succède à Mario Draghi.
Le choix de Lagarde surprend et n’est pas sans susciter la controverse. En septembre dernier, elle rejetait encore la possibilité d’un tel changement de carrière. Le choix d’un de ses compatriotes, Cœuré ou Villeroy, ou encore de l’Allemand Weidmann, eût été plus évident – notamment en raison de leur expérience en matière de politique monétaire. Le fait que cette expérience manque précisément à Lagarde soulève des critiques. Cette ancienne avocate a entre autres été active en politique en tant que ministre des Finances; en 2011, elle a ensuite été nommée à la tête du Fonds monétaire international (FMI), une fonction qu’elle occupe encore aujourd’hui. D’un autre côté, son expérience politique fait de Lagarde une bonne oratrice, une qualité qui lui sera certainement précieuse à son nouveau poste.
Christine Lagarde hérite de Draghi une banque centrale dont l’arsenal monétaire est (pratiquement?) épuisé. La BCE mène toujours une politique extrêmement généreuse, avec des taux à zéro et même négatifs, ainsi qu’un assouplissement quantitatif vigoureux. Le fait qu’elle n’atteint pourtant jamais son objectif de 2% met sa crédibilité en péril. Il y a quelques semaines, la dégradation économique a incité Draghi à annoncer de fait de nouvelles mesures de stimulus monétaire. Son successeur n’a certainement pas la réputation d’un faucon, mais la marge de manœuvre pour d’autres assouplissements est limitée et ne manquera pas de susciter des protestations. Le pilotage de la BCE exige de la rhétorique et du doigté. Par ailleurs, Lagarde est en faveur de l’application d’une politique plus inspirée fiscalement par les États membres fortunés: l’an dernier, elle a encouragé l’Allemagne en ce sens, sans résultat. En tant que politicienne expérimentée, elle connaît toutefois les obstacles politiques qui barrent la route au stimulus fiscal et saura peut-être convaincre (en coulisses) les dirigeants politiques.
Lagarde ne reprendra le flambeau de Draghi qu’en octobre. Quoi qu’il en soit, à court terme, la route monétaire toute tracée: les marchés comptent sur un abaissement des taux de 10 pb d’ici la fin de l’année. La probabilité que cela se produise a certes augmenté à la suite de la nomination de Lagarde. Toutefois, nous constatons une nouvelle baisse disproportionnée des taux sur la partie longue de la courbe. Le taux belge à 10 ans est tombé sous la barre des 0%. En Allemagne, le taux à 10 ans a encore reculé de près de 3 pb et approche du niveau de -0,40% du taux d’intérêt de la facilité de dépôt de la BCE. Cela indique que les investisseurs s’attendent à une politique monétaire considérablement plus souple à plus long terme. De fait, les sondages récents donnaient pour favori au poste de président de la BCE Weidmann, dont l’orthodoxie monétaire et fiscale est bien connue. Lagarde est sans conteste à l’opposé du spectre. Mais la réaction actuelle du marché n’est-elle pas excessive?