Le taux neutre est la véritable boussole
La question du timing du premier abaissement de taux de la banque centrale américaine n’a toujours pas été tranchée après la journée d'hier. La diminution des chiffres de l'inflation et la réunion de la Fed ont provoqué un important accès de volatilité, mais, au final, le marché hésite toujours entre septembre et décembre.
Si c'est toujours le moment où la Fed décidera de rendre sa politique moins restrictive qui reste le principal sujet de discussion dans les médias, ce n'est pas ce point qui aura attiré le plus notre attention dans ce que le message délivré par la banque hier. Nous préférons en effet déjà regarder un peu plus loin. En mars, seuls 4 des 19 gouverneurs de la Fed anticipaient un taux directeur de plus de 4 % fin 2025. Depuis hier, ils sont autant (aussi peu nombreux) à s'attendre à un taux directeur inférieur à 4 % à la fin de l’année prochaine. Environ la moitié table sur une fourchette comprise entre 4 % et 4,25 %, envoyant ainsi un signal fort. Qu’il soit question d’une (nouvelle médiane) ou de deux autres baisses de taux cette année, la marge de manœuvre demeure particulièrement restreinte.
Les nouvelles prévisions de croissance ont été maintenues à une croissance tendancielle de 2 % sur l’horizon de politique (jusqu’en 2026). Tout comme la BCE, la Fed admet que le chemin vers l’objectif d’inflation de 2 % ressemble beaucoup à une procession d’Echternach, en témoignent les révisions à la hausse de l’inflation de base et de l'inflation sous-jacente pour cette année et l’année prochaine. La Fed ne s’attend plus à une amélioration de sa mesure favorite, l'indice PCE mesurant les prix liés aux dépenses de consommation des ménages, pour le prochain semestre (2,8 %). Et de 2,3 % en moyenne en 2025, l'indice passera à 2 % en 2026. Sur la période 2024-2026, le taux de chômage restera juste en dessous de son niveau d’équilibre de 4,2 %, synonyme de plein emploi.
Le changement qui est passé le plus inaperçu hier est la deuxième révision haussière consécutive du taux d'intérêt neutre. Ce dernier équivaut au taux d’équilibre théorique dans une situation optimale de croissance tendancielle, de plein emploi et de stabilité des prix. En mars, la médiane avait, pour la première fois depuis très longtemps, été relevée de 2,5 % à 2,56 %. Depuis hier, ce taux est estimé à 2,75 % et il n'aurait fallu qu'un seul gouverneur de plus pour qu'il passe à 3 %. Ce taux neutre plus élevé est, à terme l’un des facteurs qui plaide en faveur de taux (longs) plus élevés. Par facilité, Christopher Waller, membre de la Fed, considère le taux d’intérêt réel américain (corrigé des anticipations d'inflation) à 10 ans comme l'estimation de taux neutre du marché (2,07 % actuellement). Depuis hier, l’écart avec l’estimation de la Fed s’est donc encore creusé.
D’ici la prochaine réunion de la Fed (31/07), Powell et ses collègues n’auront plus qu’une nouvelle série de chiffres mensuels à se mettre sous la dent. La probabilité que ces nouvelles statistiques soient utilisées pour justifier une intervention en septembre est faible. Pour une réponse définitive, il faudra probablement attendre fin août (symposium de Jackson Hole) et début septembre (chiffres mensuels). En attendant, la partie de ping-pong entre septembre et décembres Sachant que les prochains chiffres majeurs américains ne seront publiés que début juillet, l’attention du marché devrait en principe rapidement se déplacer vers les élections législatives françaises. Celles-ci auront un impact déterminant sur l'euro. Après hier, le cours EUR/USD de 1,06 reste le scénario privilégié.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC