Rétrospective 2023 : le marché des taux
Les récapitulatifs sont populaires en cette période de l'année. Nous nous plions à l'exercice cette semaine. Hier, nous sommes revenus sur ce qui s'est passé sur les marché des changes. Demain, nous parlerons des actions. Aujourd’hui, nous nous plongeons dans le monde des taux et de la politique monétaire. Et des attentes mal placées.
Le titre évoque l'année 2023, mais commençons par remonter un peu plus dans le temps. À l’approche des dernières réunions de politique monétaire de l’année, le marché s’est positionné en prévision d'un scénario de rêve : un atterrissage en douceur aux États-Unis, une récession modérée dans la zone euro et un recul rapide de l’inflation avec des baisses de taux si proches qu’on peut pratiquement déjà les voir. Le marché s'était déjà positionné de la sorte à plusieurs reprises dans le passé, avec de fortes corrections à la clé. Lorsque le variant Omicron a fait son apparition en novembre 2021, le marché avait une nouvelle fois remis en cause les plans de normalisation de la Fed qui venaient d'être annoncés. En mars 2022, l’invasion de l'Ukraine par la Russie est venue semer le trouble, tandis que la correction de l'été de la même année découlait des craintes d'une récession mondiale, qui se sont rétrospectivement révélées injustifiées. À l’automne, les plans budgétaires de l’ancienne première ministre britannique Liz Truss et de son compère Kwasi Kwarteng ont ébranlé la stabilité financière. Et alors que la fin de l'année 2022 a été secouée par la crise énergétique, les turbulences en ce début d'année sont venues de l’implosion de plusieurs banques régionales américaines.
Les autorités monétaires n’ont à aucun moment partagé les craintes des marchés. Plus encore : le cycle de hausse des taux s’est tout simplement poursuivi au cours du premier semestre de 2023. Ensuite, de plus en plus de banques centrales ont décidé de changer leur fusil d'épaule. Seuls des pays comme la Turquie et l’Argentine (inflation astronomique) ou la Russie (monnaie fluctuante) utilisent encore activement l’arme des taux. La plupart des autres banques ont le plus souvent opté pour le statu quo. La BCE, la Banque d’Angleterre et la Fed se sont ainsi mises en pause, à respectivement 4 %, 5,25 % et 5,25 %-5,50 %.
Un nombre croissant de banques centrales ont en revanche déjà changé de direction. Il s'agit avant tout de celles qui s'étaient lancées les premières dans la lutte contre l’inflation et qui en récoltent aujourd'hui les fruits. En Amérique du Sud, le Chili, le Brésil et le Pérou ont notamment coupé leurs taux de respectivement 225, 150 et 75 points de base. L’Europe centrale a suivi un peu plus tard. La Hongrie et la Pologne ont ainsi déjà commencé à abaisser leurs taux. La République tchèque suivra prochainement.
Revenons aux pays occidentaux. Là aussi, l’inflation commence à battre en retraite, même si cela n’a été que de manière superficielle pendant un certain temps. La baisse des prix de l’énergie et de l’alimentation a masqué une tension sous-jacente persistante sur les prix. La résilience des économies, surtout aux États-Unis, a aussi pesé dans la balance. Les hauts ont succédé aux bas, mais durant le sombre été 2023, le marché a vu la lumière : les taux devaient rester à un niveau élevé pendant une longue période. Les États-Unis ont alors montré l'exemple avec une hausse significative des taux réels. L’Europe a suivi avec un petit décalage. Cette poussée des taux réels ne reflétait pas uniquement la perspective du maintien d'une politique monétaire (encore plus) stricte sur le long terme. Elle a aussi marquait l'acceptation d’un nouveau cadre structurellement différent, caractérisé par un taux neutre plus élevé. Pendant des décennies, des tendances telles que la mondialisation et l’épargne de précaution (en prévision de la pension) de la génération d’après-guerre ont systématiquement poussé ce taux d’équilibre théorique à la baisse. Avec la pandémie (et les tensions géopolitiques), la mondialisation a pris un coup dans l'aile. Et pendant ce temps, les baby-boomers qui prennent leur retraite vont bientôt commencer à puiser massivement dans leur épargne. Le gouverneur de la Banque du Canada sent déjà l'orage arriver, la banque centrale néo-zélandaise a même revu son estimation à la hausse à deux reprises. Aux États-Unis, le consensus évolue un peu plus à chaque réunion trimestrielle. C’est l’un de ces points qui sera particulièrement scrutés lors de la réunion de demain.
Le nouveau monde avec des taux nominaux, réels et neutres plus élevés est moins confortable que l’ancien. Dans un réflexe Pavlovien dont il est difficile de se défaire, le marché continue de chercher des points d’inflexion. Récemment, quelques chiffres d’inflation favorables publiés en zone euro et aux États-Unis ont suscité un nouvel espoir. Cela a mis en branle la correction baissière actuellement observée. Nous ne rejetons cette fois pas l’idée d’un assouplissement monétaire en 2024. Nous mettons toutefois en garde contre les attentes excessives, qui ont atteint 150 points de base de part et d’autre de l’Atlantique. L’extrapolation du processus de désinflation cyclique est risquée en raison des changements structurels tels que les investissements verts et les politiques systématiques de soutien. Ces dernières vont de pair avec des déficits budgétaires élevés et en hausse (primes de risque !) qui doivent être digérés par le marché, sans l’aide des banques centrales. Avec les élections prévues cette année (États-Unis, Europe, Royaume-Uni), les finances publiques seront sous les projecteurs.