La Banque d’Angleterre réussit là où d’autres ont échoué
Vendredi dernier, suite à la publication de l’indice de confiance ISM de l’industrie manufacturière et à la dernière intervention du président de la Fed Powell, la dynamique asymétrique du marché a une nouvelle fois été mise en relief. Pour l’instant, l’enquête ISM n’indique pas une grande amélioration dans l’industrie manufacturière en berne. Le recul un peu plus lent que prévu des nouvelles commandes n’est qu’un emplâtre sur une jambe de bois: la diminution de la production effective s’est accélérée et la perte d’emplois s’est poursuivie. Quant aux taux américains, ils ont à nouveau perdu jusqu’à 15 points de base sur des échéances de 2 à 7 ans. Pour l’heure, Powell a beau essayer de mettre fin à la spéculation sur des abaissements de taux anticipés, il prêche dans le désert…
Dans le tumulte des corrections de marché, la plupart des observateurs ont négligé l’offensive rondement menée de la Banque d’Angleterre. La semaine dernière, elle a réussi là où d’autres ont échoué: elle a su convaincre le marché que des abaissements de taux (au Royaume-Uni) ne sont pas pour tout de suite. Les investisseurs ne s’attendent pas à un premier assouplissement, de 25 points de base, avant août 2024. Aux États-Unis et en Europe, de tels abaissements sont respectivement projetés dès mai et avril, voire en mars. L’économiste en chef de la Banque d’Angleterre, Huw Pill, a lancé la contre-offensive dans le journal britannique Financial Times: pour lui, la persévérance est actuellement la vertu cardinale des banquiers centraux. À savoir: la persévérance dans une politique monétaire restrictive, qui permettra de refroidir toutes les composantes de l’inflation. Le président de la BoE, Bailey, a rapidement abondé dans son sens. Il a souligné qu’il était encore trop tôt pour envisager de premières discussions sur un éventuel abaissement des taux. Jonathan Haskel, qui plaidait déjà en faveur d’un relèvement à 5,5% en septembre et en novembre, a réitéré le mantra des taux plus élevés pendant plus longtemps, eu égard à la normalisation très lente d’un marché du travail qui n’a jamais été aussi serré. Même David Ramsden, qui se rangeait jusqu’à présent dans le camp majoritaire des défenseurs du statu quo, a renchéri. Dans le secteur des services britannique, très gourmand en main-d’œuvre, l’inflation salariale s’élève toujours en moyenne à plus de 7%. Et comme la hausse des salaires est un moteur de l’inflation, Ramsden craint qu’il ne soit particulièrement difficile de ramener l’inflation vers l’objectif de 2% l’année prochaine. Enfin, Megan Greene, qui était déjà dans le camp minoritaire des partisans d’un taux directeur plus élevé lors des deux réunions précédentes, a invoqué l’argument d’un taux neutre plus élevé. Selon ce point de vue, la politique monétaire est en réalité moins serrée que le taux directeur de 5,25% ne le laisse penser.
Bien que les médias n’y aient pas accordé beaucoup d’attention, les marchés ont progressivement intégré les signaux de la BoE. Depuis le week-end de Thanksgiving (qui marque le début de l’accélération mondiale de la correction), le taux britannique à 2 ans n’a baissé que de 2 points de base. Par contraste, aux États-Unis et en Europe, les pertes encourues sur cette période s’élèvent respectivement à 30 et 35 points de base. À l’extrémité longue de la courbe, les taux britanniques ont même légèrement augmenté (+3 pb), tandis qu’ils ont dégringolé de 15 et 19 pb outre-Atlantique et en Europe. Cette dynamique des taux sous-jacente explique en grande partie la vigueur de la livre sterling. Sur la même période de référence, le cours EUR/GBP est retombé de 0,8750 à 0,8550, demeurant ainsi prisonnier de la fourchette dominante des six derniers mois. Nous identifions un niveau de support important (planchers annuels) autour de EUR/GBP 0,85. Il ne reste plus à la Banque d’Angleterre qu’à tenir ses promesses la semaine prochaine… ce qui n’a pas toujours été le cas par le passé.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC