Dangereux cocktail en vue pour la livre
Hier, le président de la Banque d’Angleterre, Andrew Bailey, a prévenu que la banque centrale allait revoir ses prévisions d’inflation à la hausse dans son rapport trimestriel de février. Un ajustement principalement dû à la hausse continue des prix de l’énergie et à l'apparition de premiers signes d'une spirale salaires-prix. Il met en garde contre une période prolongée d'inflation plus élevée (jusqu’en 2023), après le pic attendu en avril (6 %-7 %). Le débat concernant un deuxième relèvement de taux consécutif semble donc plié. Nous nous attendons à ce que la BoE rehausse son taux directeur de 0,25 % à 0,50 %. La réduction naturelle du bilan démarrera donc aussi plus rapidement que prévu. L’année dernière, la banque centrale britannique avait donné des indices clairs concernant son processus de normalisation à venir. L’un d’entre eux était que la BoE ne réinvestirait plus les fonds provenant des obligations arrivées à échéance dès que le taux directeur aura atteint 0,5 %. Au fil des ans, la Banque d’Angleterre a acheté pour 895 milliards de livres d’actifs, principalement des obligations d’État.
Bailey a tenu ces propos quelques heures après la publication des chiffres de l’inflation britannique pour le mois de décembre. Contre toute attente, celle-ci est passée de 5,1 % en glissement annuel à 5,4 %, son niveau le plus élevé depuis 1992 et largement au-dessus de l’objectif de 2 % de la BoE ! L’inflation de base sous-jacente, qui ne tient pas compte des composantes volatiles comme l’alimentation et l’énergie, a quant à elle progressé de 4 % à 4,2 % en glissement annuel. Une mesure de prix axée spécifiquement sur les produits et services de détail (qui reflète donc la vie quotidienne du Britannique moyen) a même grimpé de 7,5 % en glissement annuel. Les chiffres du marché de l’emploi britannique publiés plus tôt cette semaine se sont une nouvelle fois avérés robustes. Le taux de chômage a reculé de 4,2 % sur la période août-octobre à 4,1 % sur la période septembre-novembre, son niveau le plus bas depuis l’été 2020. En décembre, le nombre de demandes d'allocations de chômage a diminué (-43 300) et l’emploi a progressé (+184 000). La vigueur du marché de l’emploi et les pénuries observées sur celui-ci, avec surtout le "spectre" d'une augmentation des salaires, constituent pour la Banque d’Angleterre une raison supplémentaire de poursuivre la normalisation de sa politique monétaire.
La livre sterling affiche un très léger renforcement par rapport à l’euro cette semaine. Le cours EUR/GBP est tombé à un nouveau plancher dans la partie basse de la zone de 0,83. D’un point de vue technique, un solide support se situe autour de EUR/GBP 0,8277/82 (planchers de 2019 et 2020). La divergence monétaire et le soutien additionnel des taux n’aident pour le moment pas beaucoup la livre sterling. La monnaie britannique doit actuellement affronter ses propres démons. Et les fêtes du premier ministre, Boris Johnson, ne sont encore que le cadet des soucis de la livre. Les ménages britanniques s’inquiètent en effet de la hausse du coût de la vie en général. L’inflation rogne une partie importante des revenus disponibles et la situation risque encore de s’aggraver après avril. Le gouvernement britannique prévoit en principe à ce moment-là de procéder à des hausses d’impôts afin de pouvoir payer la facture des soins de santé. Downing Street a fait de l'assainissement de son budget l'une de ses principales priorités après les années exceptionnelles du Covid. En outre, ce n’est qu’en avril que tous les effets de la crise de l’énergie devraient réellement se faire sentir. Selon les estimations, le plafond de la facture de gaz et d’électricité (un héritage de la libéralisation du marché de l’énergie) d’un ménage moyen sera relevé de plus ou moins 700 livres à environ 2 000 livres. Si l'on ajoute à cela le resserrement de la politique monétaire et les répercussions du Brexit , on comprend facilement pourquoi le groupe de réflexion Resolution Foundation met en garde contre un véritable effondrement du pouvoir d’achat. La faiblesse des perspectives de croissance explique notre vision négative sur la livre sterling à plus long terme, avec un retour vers 0,87(+) en fin 2022.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC