Matières premières: une épée à double
Après les marchés des taux et des changes, nous vous proposons aujourd’hui un retour sur les actifs dits sensibles au risque. À cet égard, les matières premières sortent du lot. Les actifs à risque ont principalement été tributaires de l’évolution des perceptions relatives au “reflation trade”. Dans un premier temps, l’on aurait pu se croire dans le meilleur des mondes (économiques) possibles: une politique ultra-souple a été mise en place afin de limiter les dégâts dus au choc du coronavirus – et la hausse de la demande de matières premières ainsi que de l’inflation ont attesté de l’efficacité du remède. C’était un effet longtemps attendu (du moins par les banques centrales).
Néanmoins, les prix des matières premières ont rapidement reflété le revers de la médaille de la reflation, avec des hausses de 45% ou plus pour les prix de l’énergie et des pics des prix du gaz britannique (x4,25) et néerlandais (x6). Même le charbon tant décrié a connu un boom. Outre la demande, des facteurs liés à l’offre participent à la dynamique, parfois avec un petit coup de pouce des producteurs (OPEP+). La hausse des prix de l’énergie a englouti une part de plus en plus importante du revenu disponible, si bien que la croissance risquait de s’enliser. Quant aux matières premières industrielles, le bilan est moins uniforme (aluminium: +35%, cuivre: +21%, minerai de fer après un parcours turbulent: -43%). Cependant, le cuivre a manifesté la perte de vitesse du scénario reflationniste et la montée des incertitudes économiques. En effet, après des sommets en mai et en octobre, la dynamique s’est calmée. À l’exception du soja, la plupart des matières premières agricoles ont elles aussi augmenté de 25% ou plus (mention spéciale pour le café: +85%). Des facteurs liés à l’offre et les restrictions (de transport) participent à ces évolutions. Mais même si les prix des matières premières se stabilisaient, le trou dans le budget des entreprises et des ménages ne serait pas immédiatement résorbé. La perte de prospérité reste réelle. Les banques centrales considèrent les prix élevés des matières premières comme un phénomène externe, sur lequel elles n’ont aucune emprise et dont elles sont encore moins responsables. Mais le fait est que si tout le monde ouvre les vannes en même temps, la monnaie s’écoulera partout – y compris vers les matières premières. C’est un peu comme le changement climatique: tout le monde y contribue, mais personne ne se sent concerné… Pourtant, les dégâts (au niveau du revenu disponible) se font largement sentir, surtout dans les économies plus faibles. 2021 sera aussi l’année de toutes les (dés)illusions inflationnistes… D’abord inaccessible, maintenant qu’elle est là, l’inflation n’est pas d’une grande aide ou pire, elle fait planer le risque de la stagflation. Un écrêtement des indices de matières premières se manifeste dans les prévisions d’inflation, mais le marché ne sait plus sur quel pied danser: est-ce positif ou négatif? Un affaiblissement de la croissance est-il en vue?
Ainsi, après un premier semestre “sans nuage”, la crainte d’un resserrement monétaire et d’un ralentissement de la croissance a récemment entraîné une volatilité accrue sur les marchés boursiers. Pourtant, le bilan final est encore plus qu’acceptable. Avec l’aide des pouvoirs publics, nous traversons une crise sans précédent et les bourses américaines s’en sont les mieux sorties (S&P: +25%). L’Europe n’est pas aussi exubérante, mais affiche aussi de bons chiffres grâce à la faiblesse des taux réels et à l’absence d’alternatives (EuroStoxx 50: +17%). Depuis la réunion de la Fed en septembre, les primes de risque de crédit jusqu’alors très basses sont reparties à la hausse, surtout pour les profils plus faibles. Là encore, la quête du rendement continue à avoir un impact. Les obligations périphériques de l’UEM manifestent la confiance dans la flexibilité de la BCE, même si le PEPP a fait son temps.
Pour conclure, revenons sur cette matière première “à part”: l’or, souvent considéré comme un élixir miracle contre toutes sortes de maux financiers (inflation, aversion au risque, dollar faible…). En tant que couverture contre l’inflation, le remède n’a pas fonctionné cette fois (perte annuelle de ± 7,0%). Pour vous protéger, mieux valait encore acheter les valeurs “coupables” de l’inflation. Les taux réels (bas) compliquent le modèle commercial de l’or, car quand la faiblesse des taux réels pousse les autres actifs à risque à la hausse, le métal jaune ne vient pas immédiatement à l’esprit. Et en cas de correction “risk-off” due à la hausse (attendue) des taux (nominaux ou réels) à la suite d’un durcissement de la politique monétaire, l’or se trouve également en porte-à-faux, puisqu’il ne rapporte aucun intérêt. Un actif à double tranchant par excellence, donc, pour conclure ce petit tour d’horizon.