Mise à jour de la notation des États-Unis: l’Europe face à son avenir possible
Un groupe très sélect de neuf pays peuvent se targuer du label de qualité le plus élevé auprès des grandes agences de notation (S&P, Fitch et Moody’s): AAA. Certains pays conservent cette notation platine auprès de deux agences (comme le Canada) ou d’une seule (comme la Nouvelle-Zélande ou les États-Unis). Après le jugement de Moody’s ce week-end, en principe, le club des emprunteurs les plus solides devrait bientôt se réduire encore plus.
Moody’s a revu à la baisse les perspectives de la notation AAA des États-Unis, de ‘stable’ à ‘négatif’. C’est le signe avant-coureur d’une dégradation de la notation dans les deux ans. Par le passé, S&P (après l’impasse politique sur le relèvement du plafond de la dette en 2011) et Fitch (suite à la même saga politique cette année) étaient déjà revenus sur la cote AAA des États-Unis. Les motifs sous-jacents ne changent pas: une dynamique fiscale inquiétante qui n’est plus compensée par d’autres points forts, comme une croissance exceptionnelle, un cadre institutionnel et réglementaire réputé, ou encore le rôle unique et central du dollar américain et des obligations d’État américaines (marché des bons du Trésor) dans le système financier mondial. Faute d’interventions, les déficits publics, qui s’élevaient en moyenne à 3,5% du PIB avant la pandémie (2015-2019), évolueront en direction de 6% dans les années à venir et 8% d’ici 2033. Trajectoire projetée du taux d’endettement des États-Unis: de 96% du PIB fin 2022 à 120% dans une décennie.
Mais la hausse des déficits publics n’est pas un problème qui se pose seulement aux États-Unis. En Europe aussi, la règle européenne des 3% du traité de Maastricht est plus de l’ordre du rêve que de la réalité. Avec le nouvel environnement des taux d’intérêt et l’évolution du contexte monétaire, cette question pourrait devenir un thème dominant sur le marché l’année prochaine. L’inflation et une politique monétaire restrictive ont poussé à la hausse les taux (à long terme). La dynamique fiscale actuelle les maintiendra à des niveaux élevés. Maintenant que les principaux acheteurs d’obligations d’État tirent leur révérence, les investisseurs exigent une rémunération plus élevée pour continuer à financer la dette américaine et européenne. Via ses programmes d’achats obligataires (APP et PEPP), la BCE avait acheté quelque 30% du total de la dette à long terme des pays de la zone euro au cours de la dernière décennie. Or elle est actuellement en train de procéder à une réduction de ce portefeuille obligataire, réduction qu’elle veut la plus progressive et naturelle possible. L’inflation n’en est plus à ses pics précédents de 10% en glissement annuel, mais les banques centrales semblent confrontées au problème du dernier kilomètre – comment passer des 4% actuels à 2%? Cela a pour effet de contraindre la politique monétaire. L’offre d’obligations augmente petit à petit et en même temps, l’acteur le plus robuste et insensible aux fluctuations des prix n’offre plus de soutien aux investisseurs.
Pour un pays comme les États-Unis, qui bénéficie du marché des obligations le plus liquide et le plus profond au monde, des refinancements (à un prix plus élevé) ne posent en principe aucun problème. Mais dans un marché fragmenté comme le marché européen, l’on craint déjà la résurgence d’une crise de la dette, comme celle de 2009-2014 qui avait culminé avec la faillite de la Grèce en 2011. Cette fois, c’est l’Italie qui a la plus mauvaise main. La prime de risque de crédit italienne (différentiel d’intérêt avec l’Allemagne sur une durée de 10 ans) sera le baromètre des marchés. Si l’Italie venait à connaître des difficultés, les regards se tourneront rapidement vers la BCE. Or celle-ci ne peut pas (et ne doit pas) renoncer à la lutte contre l’inflation. Que faire pour éviter une nouvelle crise de la dette? La création d’un marché obligataire européen plus vaste et plus unifié serait une solution possible. Les premières graines ont été semées à cet égard pendant la pandémie, avec la décision d’émettre des obligations européennes pour un total de 750 milliards d’€ dans le cadre de programmes structurels comme SURE (lutte contre le chômage temporaire) et NGEU (plans de relance post-pandémie). C’est ainsi que le marché obligataire européen, jusqu’alors d’une ampleur négligeable, a fait un bond en avant phénoménal, devenant le quatrième plus important au monde. Et sa professionnalisation a déjà commencé. Dès l’année prochaine, l’Europe espère y inclure des produits dérivés, comme des futures sur ces obligations européennes. Le chemin politique vers un marché unifié ne sera pas bordé de roses. Mais si la BCE est sur la sellette et que l’équilibre budgétaire demeure une utopie (charges d’intérêt structurellement plus élevées, coûts du vieillissement démographique, dépenses militaires, financement des initiatives de transition énergétique…), il n’y aura pas mille autres solutions.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC