La Banque du Japon fait un nouveau pas de souris
La banque centrale japonaise (BoJ) met la patience du marché à rude épreuve avec son approche Kaizen de la normalisation de la politique. Ce matin, elle a de nouveau modifié sa politique de contrôle de la courbe des taux, dans le cadre de laquelle elle se fixe un objectif de 0 % pour les rendements à 10 ans. Au départ, la BoJ autorisait un écart maximal de 25 points de base autour de cet objectif. Pour arriver à ses fins, la banque est tous les jours active sur le marché obligataire et achète (si nécessaire) des obligations d’État de manière illimitée. En décembre de l’année dernière, la BoJ avait de manière inattendue doublé la marge de tolérance autour de l’objectif de 0 %, à 50 points de base, après avoir dû intervenir presque tous les jours depuis le printemps pour contenir la pression haussière généralisée sur les taux (sur les taux japonais). En juillet, la BoJ avait de nouveau doublé cette marge, en passant de 0,50 % à 1 %. Ce matin, la BoJ a décidé d'assouplir cette limite de 1 %. Celle n'est désormais plus un plafond fixe, mais plutôt un niveau de référence. La banque a également décidé de mettre fin à son engagement de défendre cette limite via des achats d'obligations illimités. Ici aussi, elle adoptera désormais une approche plus ad hoc. L'expression « contrôle de la courbe des taux » n'est depuis longtemps plus en adéquation avec ce qui se passe dans la réalité, mais elle reste donc officiellement en place. Ce matin, le taux japonais à 10 ans a grimpé à 0,95 %, son niveau le plus élevé en plus d'une décennie.
Les nouvelles prévisions d’inflation n'ont pas laissé beaucoup de choix à la BoJ. La banque centrale a relevé l’ensemble de la trajectoire d’inflation attendue par rapport à juillet. Pour les exercices 2023 à 2025, elle table désormais sur des taux de respectivement 2,8 %, 2,8 % et 1,7 %, contre 2,5 %, 1,9 % et 1,6 % en juillet. Concrètement, la BoJ s'attend, à compter de 2022, à trois années consécutives d’inflation au-dessus de l’objectif de 2 %. Cela fait plus de 30 ans que l'inflation ne s'était plus maintenue à un tel niveau pendant aussi longtemps. Cela s'explique par la hausse des prix pétroliers et la pression sur les coûts. Le président, Kazuo Ueda, surveille aussi de près le risque d'une éventuelle spirale salaires-prix. Malgré la modification des normes en matière d'inflation, Ueda ne veut pas encore parler d’un retour durable à l’objectif de 2 %. Il ne précise pas si la prochaine étape de la BoJ sera un relèvement de taux (et la fin de la politique de taux négatifs) ou l'abandon formel du contrôle de la courbe des taux.
Le yen japonais n'a pas bien pris la nouvelle. La normalisation de la politique de la BoJ est extrêmement lente et garde la monnaie en otage depuis cet été. Ce matin, le cours USD/JPY a de nouveau franchi le cap de 150 et le cours EUR/JPY s’est établi pour la première fois depuis 2008 au-dessus de 160. À la fin de l’année dernière, ces niveaux (USD/JPY) avaient donné lieu à de solides interventions du ministère des Finances sur le marché des changes. Le ministère garde pour le moment ses munitions, malgré de nombreux avertissements oraux. Sans le soutien d’une véritable normalisation de la politique, nous craignons que l’effet d’éventuelles interventions sur le marché des changes ne soit que temporaire. À cet égard, l’affaiblissement du yen reste la voie de la moindre résistance dans un contexte de hausse des taux dans les grands pays et malgré l’aversion pour le risque. Il faudra du temps pour que le ressort (du JPY) se rompe et que la BoJ entre réellement en action.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC