Taux directeurs: l’Europe oriente les marchés
Le mois dernier, suite à la faillite de plusieurs banques régionales américaines, la fonction de réaction changeante du marché a fait couler beaucoup d’encre. Vu les données américaines et l’approche du pic de taux directeur de la Fed, les décideurs changeront-ils de cap pour faire face au risque de récession? L’écart de taux d’intérêt sur une durée de 2 ans entre les États-Unis et l’Allemagne est passé de 170 points de base à 120 actuellement, son niveau le plus bas depuis novembre 2021. Le cours EUR/USD est passé de 1,06 à 1,10, et même brièvement au-delà.
Jusqu’à présent, le côté européen de la question a été négligé. Dans une première réaction pavlovienne, le marché s’est inspiré des États-Unis en tirant des conclusions similaires quant à la future politique de la BCE. Pourtant, le ton adopté en mars par le président de la Fed, Jerome Powell, et la présidente de la BCE, Christine Lagarde, n’était pas du tout le même. Avec des données européennes relativement proches des attentes du marché, il était plus difficile de s’orienter. Mais à la fin de la semaine dernière, les déclarations et les commentaires de plusieurs membres de la BCE ont enfin permis d’y voir plus clair. Le gouverneur de notre propre banque nationale, Pierre Wunsch, a ouvert le bal.
Pour la réunion de politique du mois prochain (le 4 mai), Wunsch estime que le relèvement de taux pourrait s’élever à 25 ou 50 points de base. Cinq autres membres de la BCE ont promptement confirmé ce point de vue. Nous lisons entre les lignes une préférence pour un pas de +50 pb, à moins d’un repli inattendu de l’inflation de base en avril (publication des données le 2 mai). D’ici là, les indicateurs PMI de confiance des entrepreneurs seront encore publiés ce vendredi. Enfin, la troisième variable sera la Bank Lending Survey, ou enquête sur la distribution du crédit bancaire, que la BCE publie chaque trimestre. En effet, le changement de point de vue observé aux États-Unis est en grande partie dû à la perspective d’un engorgement du crédit, qui contribuerait en soi à ralentir la croissance et l’inflation.
Les interventions soudaines de Wunsch et de ses collègues évoquent une tentative coordonnée d’orienter les marchés. De fait, les taux du marché monétaire européen anticipaient un relèvement de 25 points de base. À l’approche du mois de mai, la BCE ne voudra pas brusquer les nerfs fragiles du marché. Ainsi, si le consensus était déjà établi à +25 pb, elle n’aurait aucune raison de suggérer qu’il puisse en être autrement. Outre le cycle des taux, Wunsch a abordé un autre thème: la réduction progressive du portefeuille obligataire de la BCE. Le mois dernier, la banque centrale a cessé de réinvestir la totalité de ses fonds obligataires parvenus à échéance, à concurrence de 15 milliards d’euros par mois au deuxième trimestre. Mais à partir du second semestre, Wunsch voudrait mettre fin à tous les réinvestissements. Après tout, la grande quantité de liquidités qui circulent dans le système financier est en porte-à-faux par rapport à la politique monétaire stricte que la BCE entend mener pour lutter contre l’inflation. Concrètement, il serait question d’environ 150 milliards d’euros au second semestre 2023 (sur un portefeuille APP total de quelque 3 200 milliards d’euros), soit environ 60 milliards d’euros de plus par rapport au rythme actuel (de 15 milliards d’euros par mois). Le nombre d’échéances augmentera progressivement au cours des prochaines années. Le portefeuille actuel a été constitué à partir de 2016, avec un accent prononcé sur les durées comprises entre 5 et 10 ans. Au premier trimestre de 2024, pour 90 milliards d’euros d’obligations arriveront à échéance.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC