La Banque d’Angleterre en terrain glissant
Il y a quelques semaines, nous avions fait l'éloge du président de la Banque d’Angleterre, Ben Bailey. Son attitude intransigeante a entraîné indirectement la démission du ministre des Finances britannique Kwasi Kwarteng et de la première ministre Liz Truss et directement un retour au calme sur les marchés (obligataires) britanniques. À peine un mois plus tard, il remet de nouveau en cause la crédibilité de la banque.
Hier, la banque centrale britannique a relevé une première fois son taux directeur de 75 points de base, de 2,25 % à 3 %. Deux des neuf gouverneurs ont plaidé en faveur d'interventions plus modestes. Contrairement à la Fed ou à la BCE, ces 75 points de base ne deviendront pas la nouvelle norme. Pour la forme, la BoE se prépare toujours à de nouveaux relèvements de taux en cas d'accroissement des pressions inflationnistes. Mais que ce soit explicitement ou implicitement, Bailey entend tempérer les attentes. S’il devait y avoir des hausses de taux, celles-ci resteront limitées. Et certainement moins importantes que celles prévues par le marché à l'heure actuelle (pic du taux directeur à 4,5 % au milieu de l’année prochaine), selon le "petit ami auquel on ne peut pas se fier ("unreliable boyfriend"). Pour commencer, Bailey soutient que le pic d’inflation attendu cet automne a fortement diminué grâce au gel des factures d’énergie opéré pour les ménages et les entreprises. En outre, le modèle économétrique de la banque centrale avance un taux d’inflation pour le moins surprenant pour la fin de l’horizon de politique (2024) : 0 %. Pour ses calculs, la BoE a utilisé la trajectoire attendue des taux du marché à la fin octobre (avec un pic au-dessus des 4,5 % actuels, à savoir 5.25 %). Bailey explique que la banque centrale ne peut jamais avoir pour ambition de pousser l’inflation aussi bas en dessous de l’objectif de 2 %. Dans un calcul alternatif, où le taux directeur restera inchangé à 3 % au cours des deux prochaines années, l’inflation retombera tout de même toujours à 0,8 % fin 2024. En outre, ce scénario table aussi sur une récession moins forte et, surtout, plus courte et une hausse plus limitée du taux de chômage. Une autre remarque doit aussi être formulée par rapport à ce scénario. La banque centrale tient compte de l’annulation des incitants fiscaux promis par le duo Kwarteng-Truss, mais pas encore du resserrement budgétaire supplémentaire que le tandem Sunak-Hunt annoncera le 17 novembre dans le cadre de ses plans budgétaires pluriannuels. En théorie, un resserrement de la politique budgétaire va de pair avec un assouplissement de la politique monétaire.
Si l'on met tous ces arguments de la Banque d’Angleterre bout à bout, on pourrait presque en déduire qu'elle veut abaisser les taux d’intérêt au lieu de continuer à les relever ! Mais le fossé entre vouloir et pouvoir reste énorme. On peut ainsi constater que les taux du marché monétaire britannique restent fixés sur un pic du taux directeur attendu à 4,5 %. Hier, la partie très longue de la courbe des taux britannique a grimpé de 15 points de base, une hausse entièrement imputable à l'accélération des prévisions d’inflation. La livre sterling en a payé le prix. Cette semaine, lecours EUR/GBP est passé de la zone de support de 0,8560 (ligne de cou avec plusieurs sommets) à des niveaux supérieurs à 0,87. Si la Banque d’Angleterre prend effectivement ses distances de la Fed et de la BCE avec une politique monétaire beaucoup moins agressive, cela ajoutera un argument supplémentaire en faveur d'une dépréciation de la livre à terme.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC