Une nouvelle ère dans l'analyse technique
Cela devient un peu une routine cette année : voici le point hebdomadaire de la situation sur le marché des taux. La semaine dernière, le discours du président de la Fed, Jerome Powell, devant la National Association for Business Economics était au centre des débats et a initié une accélération intermédiaire sur le marché des taux. La notion de "intermédiaire" est devenue aussi élastique que celle de "temporaire".
Tout le monde sait où se situe le nœud du problème. La longue pandémie de Covid-19 a révélé au grand jour les faiblesses du mode de production "juste à temps". Elle a mis un terme à la tendance à la mondialisation en cours depuis plusieurs décennies et à ses effets désinflationnistes. La demande de rattrapage et les pénuries de matériaux se sont traduites par une pression croissante sur les prix. La transition écologique avait déjà impacté la facture énergétique et l’invasion russe en Ukraine a encore aggravé le problème. Place maintenant à l’inflation alimentaire.
Les banquiers centraux ont pendant trop longtemps mené une politique monétaire trop souple. Cela avait déjà été le cas en Europe après la crise de la dette. Une véritable course contre la montre s'est enclenchée pour lutter contre l'inflation avant que celle-ci ne heurte la croissance. Ce n'est qu’une question de temps avant que celle-ci ne s'essouffle. L’inflation rogne le revenu disponible des ménages et incite les entreprises à moins investir. Tant que le marché de l’emploi ne s’effondre pas, les banquiers centraux auront certainement la possibilité de durcir leur politique monétaire. Ils ont intérêt à utiliser cette fenêtre d’opportunité d'une manière optimale. Contrairement à il y a une décennie, les gouvernements n'appuieront pas immédiatement sur le frein fiscal.
Aux États-Unis, la Fed a relevé son taux directeur de 25 points de base en mars. Et des interventions plus importantes sont prévues au cours des prochains mois, en plus de la réduction progressive de la taille du bilan. Elle va donc appuyer sur le frein. Ce matin, un taux de 3 % s'est affiché pour la première fois sur les écrans des taux du marché monétaire. 3 %, comme pour le pic du taux directeur attendu en juin de l’année prochaine. Les mises en garde des gouverneurs de la Fed la semaine passée ont été entendues sur le marché, dont l'orientation reste la même : un pic plus élevé que nous atteindrons de plus en plus rapidement. Pour la première fois depuis 2007, nous nous dirigeons vers une politique monétaire restrictive, où le taux directeur sera supérieur au taux d’équilibre théorique en situation de plein emploi et de stabilité des prix (inflation de 2 %).
Depuis vendredi matin, les taux américains ont gagné environ 25 points de base sur les échéances entre 2 et 5 ans. Le taux à 10 ans a pour sa part grimpé de 13 points de base. Entre les échéances à 3 et 7 ans, la courbe des taux est quasiment plate, autour de 2,6 %. Nous reviendrons plus tard sur la force prédictive de la courbe des taux. Spoiler alert : il n'y a pas de happy ending. Le taux à 10 ans est légèrement inférieur, mais il a franchi la barre des 2,5 % pour la première fois depuis le printemps 2019. Les fétichistes de l'analyse technique aiment regarder sur le très long terme. Depuis le début des années 1990, le taux à 10 ans se trouve dans un canal baissier graduel. S'il poursuit sa route en direction de 3 % (notre scénario préférentiel), cela mettra un terme à cette tendance et la situation technique correspondra à l’image fondamentale sous-jacente d’une nouvelle ère d’inflation.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC