La BCE souligne le ralentissement de la croissance
Dans un passé récent, les réunions de politique des grandes banques centrales n'ont pas toujours provoqué de fortes fluctuations sur les marchés. Les banques centrales essaient en effet d'être transparentes et de ne pas perturber inutilement le marché. Hier, l'annonce de la décision de politique de la BCE a néanmoins causé d'importants remous. L'euro et les taux (en Europe mais aussi ailleurs dans le monde) ont fortement dévissé. Et les bourses se sont montrées très nerveuses.
La Banque centrale européenne a, comme prévu, laissé ses taux inchangés: 0,0% pour le taux repo et -0,40% pour le taux de dépôt. Jusque là, rien de surprenant. La banque a aussi annoncé le lancement d'un nouveau programme de prêts à long terme pour les banques dans le but de soutenir l'octroi de crédit. Cette annonce était également plus ou moins attendue. À partir de septembre, les banques pourront, en fonction de leur octroi de crédit, recevoir chaque trimestre des financements sur deux ans (TLTRO). Ce programme courra jusqu'en mars 2021. Mais, une fois de plus, le diable se trouve dans les "détails". Et pas n'importe quels détails...
Jusqu'à présent, la BCE avait expliqué qu'elle entendait maintenir les taux à leurs niveaux actuels jusqu'après la fin de l'été. Hier, elle a décidé de repousser cette échéance en indiquant que les taux ne seraient pas relevés cette année. Le marché s'attendait déjà depuis longtemps à ce que la banque ne procède à aucun resserrement avant l'année prochaine, dans le meilleur des cas. Pourquoi dès lors une réaction si vive?
Outre cette adaptation du discours autour des taux, la BCE a également revu ses prévisions de croissance et d'inflation à la baisse (prévisions publiées chaque trimestre). Le taux de croissance a surtout été revu à la baisse pour cette année (de 1,7% à 1,1%). Pour 2020, l'ajustement reste limité (de 1,7% à 1,6%). Et pour 2021, rien n'a changé (1,5%). Autre facteur important, la banque a aussi diminué sa prévision d'inflation sur l'ensemble de l'horizon de sa politique (jusqu'en 2021). En 2021, la BCE estime que l'inflation ne s'élèvera encore qu'à 1,6% (au lieu de 1,8%). En d'autres termes, elle sera toujours largement inférieure à l'objectif de 2,0% à ce moment-là. Le marché en a par conséquent déduit que rien ne garantissait que les taux allaient être relevés après la nouvelle "échéance" communiquée hier. Le fait que la BCE ait déjà fait connaître ses nouvelles projections de taux maintenant joue aussi un rôle. Elle s'était en effet déjà engagée jusqu'en septembre de cette année. Elle avait donc encore le temps de voir venir. Plusieurs gouverneurs de la banque se sont d'ailleurs exprimés en ce sens récemment. Le marché a donc interprété ce geste de la BCE comme le signe que celle-ci estime que l'économie européenne aura besoin de tous les soutiens possibles. À cet égard, le président Mario Draghi a indiqué que les risques sur la croissance étaient encore surtout baissiers, notamment à cause du contexte international. Le marché a mis toutes ces pièces bout à bout et en a donc tiré sa conclusion. Les taux européens et l'euro ont plongé et se trouvent désormais à des niveaux techniques cruciaux. Ce mouvement ne s'est toutefois pas limité aux marchés européens. Les taux américains ont également dévissé. Plus surprenant, les bourses se sont aussi fortement repliées. Les marchés considèrent clairement le geste de la BCE comme une mise en garde par rapport à la croissance en Europe, mais aussi dans le monde. Et ils doutent que cette intervention suffira à amortir le choc du ralentissement de la croissance.
Retour sur le cours EUR/USD. La paire de devises se trouve actuellement au niveau inférieur de sa bande latérale située entre 1,12 et 1,16. Après l'annonce d'hier, il est évident que l'euro ne pourra pas compter sur un soutien des taux dans un avenir proche. Et ce, même si la BCE demeure optimiste vis-à-vis de la croissance en 2020/2021. Le potentiel haussier de la monnaie européenne est clairement remis en question. L'économie américaine pourrait naturellement aussi connaître une baisse de régime. À cet égard, le marché sera tout particulièrement attentif au rapport sur le marché de l'emploi US (les "payrolls") qui sera publié tout à l'heure. Un rapport solide jouera probablement en faveur du billet vert. La réaction du marché sera vraisemblablement plus compliquée en cas de rapport décevant. De mauvais chiffres ne feront qu'attiser le spectre d'un ralentissement de la croissance. Et cela risque de provoquer un regain de nervosité sur les bourses (environnement "risk-off"). On peut se demander si cela créera les conditions idéales pour un redressement de l'euro. La monnaie aura surtout besoin d'une embellie au niveau économique. Reste à savoir quand cette amélioration aura lieu.