Dancing queen’s Waterloo
Deux années de négociations balayées par un seul vote parlementaire. Et comment! Jamais un gouvernement britannique n'avait été humilié comme celui de Theresa May l'a été hier devant la Chambre des communes. Pas de "Dancing Queen" cette fois, mais plutôt "Waterloo". La proposition de Brexit de la première ministre a été rejetée par 432 voix contre 202. La mutinerie au sein même du camp conservateur avait rallié un nombre jusqu'ici encore inégalé de 118 parlementaires. Quelques heures après le vote, le leader de l'opposition Jeremy Corbyn a demandé un vote de confiance. Le verdict tombera ce soir, à 20 heures. En dépit des dissensions qui déchirent le camp des Conservateurs au sujet du Brexit, la plupart d'entre eux sont convaincus qu'il vaudrait mieux éviter de nouvelles élections. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui retiennent Theresa May de jeter l'éponge elle-même. Il y a donc de grandes chances que la première ministre survive à ce vote de confiance.
La défaite essuyée lors de ce vote sur le Brexit place Theresa May dans une position encore plus précaire. Elle a jusqu'à lundi pour formuler une nouvelle proposition, et elle étendra sa recherche d'un compromis au-delà des frontières de son propre parti. La seule solution qui soit dans une certaine mesure susceptible d'aboutir serait le passage à un modèle norvégien durant la période de transition. Même si elle oblige le Royaume-Uni à céder sur certaines exigences à l'égard du Brexit, cette solution bénéficie du soutien à la fois d'une fraction du parti travailliste et d'une partie des Conservateurs. La solution norvégienne induirait que le Royaume-Uni continue à faire partie du marché unique européen, ce qui signifie la libre circulation des biens, des services, des personnes (!) et des capitaux. Le Royaume-Uni resterait donc dans ce cas soumis à la plus grande part de la réglementation européenne, mais pourrait conclure ses propres accords commerciaux avec des pays extérieurs à l'UE. On éviterait ainsi une frontière "dure" sur l'île d'Irlande. La Norvège paie en outre une contribution en faveur du budget de l'UE, mais n'est pas représentée au parlement européen.
Si l'alternative proposée, quelle qu'elle soit, est à nouveau rejetée lundi, l'initiative reviendra au parlement britannique. Un précédent vote organisé cette année lui a en effet octroyé ce droit. Le parlement voudra alors sans aucune doute rouvrir le dialogue avec l'Europe, même si cette dernière est peu disposée à renégocier entièrement l'accord actuel. Dans la pratique, les heures qui nous séparent de la date butoir officielle du 29 mars s'égrènent d'ailleurs impitoyablement. En l'absence d'accord, un Brexit "dur" est inévitable. Mais comme seule une minorité serait disposée à prendre ce risque, nous nous attendons plutôt à un report de cette échéance.
La réaction des marchés après les événements d'hier soir suggère qu'ils tenaient déjà compte de l'éventualité d'une impasse comme celle-ci. Ceux qui s'étaient attendus à un effondrement de la livre ou des bourses en sont pour leurs frais. Venant de 0,8960 avant le vote, le différentiel EUR/GBP a chuté à 0,8860 en ce moment. Du point de vue technique, la paire de devises reste confortablement installée dans la fourchette latérale qu'on lui a connue durant les 18 derniers mois. Une fois de plus, l'attitude la plus sage consiste à rester paisiblement sur la touche en attendant que le brouillard qui plane sur l'issue du Brexit se dissipe. La bourse britannique a à peine reculé (-0,5%), tandis que les autres indices européens sont parvenus à engranger de modestes gains. Une vague de vente déferle par ailleurs sur les obligations d'État allemandes et américaines, traditionnellement des valeurs refuges.