La BCE réexamine le PEPP
La Banque centrale européenne s’apprête à réexaminer en profondeur le PEPP (programme d’achats d’urgence face à la pandémie): c’est ce qu’a annoncé le journal d’affaires britannique Financial Times hier, à la suite d’un entretien avec deux gouverneurs de la BCE qui n’ont pas été nommés. La signification de cette nouvelle n’est pas encore tout à fait claire, mais les quelques détails que le FT a pu soutirer aux illustres inconnus laissent entrevoir des conséquences potentielles (plutôt à long terme) sur les marchés.
Pour rappel, le PEPP est un outil de crise qui permet à la BCE d’acheter temporairement des obligations d’État en raison de la pandémie de coronavirus. De cette manière, elle réduit artificiellement les coûts de financement des gouvernements européens. En juin, la BCE a rapidement porté l’enveloppe initiale de 600 milliards d’euros du mois de mars au montant astronomique de 1 350 milliards d’euros. Les achats nets se poursuivront au moins jusqu’à la mi-2021. À compter de ce moment, les fonds dégagés par les obligations échues seront réinvestis au moins jusqu’à fin 2022. Il convient de noter que le PEPP se distingue clairement du programme d’achat d’actifs existant, l’APP. Par exemple, la solvabilité des obligations achetées n’a aucune importance dans le cadre du PEPP. La BCE peut donc également racheter des emprunts d’État grecs au statut spéculatif. Dans le cadre de l’APP, la BCE peut détenir au maximum 30% de la dette nationale en circulation; le PEPP n’est pas lié par une telle règle. Enfin, la BCE peut mener ses achats dans le cadre du PEPP à sa discrétion: par exemple, elle peut temporairement acheter plus d’obligations d’État espagnoles ou italiennes si elle le juge nécessaire. La clé de répartition (la part de chaque État membre dans le capital de la BCE) qui régit l’APP n’est donc pas d’application.
En d’autres termes, avec le PEPP, la BCE s’est octroyée un degré de flexibilité considérable, ce qui est logique vu l’imprévisibilité de la crise. Cette marge de manœuvre se justifie en grande partie par le caractère temporaire du PEPP. Or ce caractère temporaire fait justement l’objet de discussions de plus en plus fréquentes au sein de la BCE. Lentement mais sûrement, une aura de permanence commence à transparaître – d’autant que la deuxième vague du virus bat désormais son plein en Europe. Et c’est encore loin d’être terminé. Cette situation est une épine dans le pied de l’Allemand Jens Weidmann, entre autres: la BCE pourrait répondre à ces préoccupations en transférant, par exemple, une partie de l’enveloppe du PEPP vers l’APP. Ce ne serait pas de la poudre aux yeux: idéalement, ce transfert se ferait dans les mêmes conditions flexibles. Cette réflexion théoriquement intéressante de la part de la BCE n’est pas aussi évidente en pratique. Pour des programmes permanents comme l’APP, une grande flexibilité est nettement plus difficile à vendre. En outre, les règles qui se sont imposées (dont la règle des 30%) étaient essentielles dans la base légale du programme.
Dans le scénario décrit ci-dessus, il est facile de voir qui seront les principaux perdants de la réflexion. À terme, dans le cadre d’un régime APP moins favorable, la pression sur les taux périphériques européens pourrait certainement s’accentuer. Toutefois, ce n’est pas pour demain. Les discussions sont en cours et l’on ne peut que spéculer sur l’issue. Par ailleurs, les marchés n’ont pas encore beaucoup évolué dans le sillage de la primeur britannique d’hier. Ce matin, les primes de risque de crédit périphériques sont à la hausse, mais c’est la conséquence du repositionnement général risk-off. Nous suivrons cependant de près le débat qui s’annonce.