Avertissement rare de la BCE
Nous l'avions enterré trop vite. Le dollar connaît encore un dernier soubresaut. Le cours EUR/USD évolue à nouveau dans la fourchette dans laquelle il se trouve habituellement durant l'été, entre 1,17 et 1,1950. Le billet vert a avant tout profité de la confiance des entrepreneurs dans l'industrie manufacturière telle que mesurée par l'ISM. Le chiffre solide qui a été rendu public est ce dont le dollar avait besoin. Le rapport sur le marché de l'emploi décevant publié par le secrétariat social ADP hier n'a en revanche pas été pris en compte. Outre l'appréciation du dollar, nous observons aussi des signes de faiblesse de l'euro ces derniers jours.
C'est l'économiste en chef de la BCE, Philip Lane, qui a mis le feu aux poudres. Au quartier général de la BCE à Francfort, une alarme s'est déclenchée lorsque la paire EUR/USD a commencé à flirter avec la barre de 1,20. Ce seuil psychologique a poussé un poids lourd de la banque centrale à une sortie inhabituelle à propos du taux de change. Lane a en effet souligné que la banque centrale tenait compte du cours EUR/USD dans sa politique. Un sérieux avertissement: la BCE veut à tout prix éviter un euro trop fort. La reprise économique risque en effet de rester à la traîne en raison d'une perte de compétitivité, alors que les importations moins chères pèsent sur l'inflation. Pour rappel, le taux de l'inflation générale est passé en négatif pour la première fois depuis 2016 en août, tandis que l'inflation de base sous-jacente, qui ne tient pas compte des prix volatils de l'alimentation ou de l'énergie, est retombée à son niveau le plus bas depuis la création de la zone euro (0,4% en glissement annuel). L'évolution actuelle de l'inflation et la hausse de l'euro inciteront probablement la BCE à revoir ses prévisions d'inflation à la baisse lors de sa réunion de politique de septembre la semaine prochaine.
La question cruciale est de savoir si la patronne de la BCE, Christine Lagarde, parlera du cours de change lors de sa conférence de presse. Les interventions verbales fonctionnent, mais à condition que le marché soit convaincu que la banque centrale est en mesure de les confirmer dans la réalité, via un assouplissement de sa politique monétaire. La BCE manque de munitions à ce niveau. On connaît déjà son aversion pour des taux directeurs encore plus bas, mais certaines voix s'élèvent déjà ici et là pour ne pas exploiter totalement le programme d'achat exceptionnel d'actifs (PEPP) ou le réduire le plus rapidement possible une fois la crise du coronavirus terminée. Entre les déclarations et les interventions effectives sur le taux de change, il y a évidemment un monde. La BCE n'a utilisé cette arme qu'une seule fois dans son histoire, fin 2000, pour soutenir l'euro. En outre, tout le monde ne partage pas les mêmes craintes. Ainsi, Isabel Schnabel, membre allemande du directoire de la BCE, estime que les inconvénients d'un euro plus fort sont en ce moment largement compensés par l'effet positif du dollar plus faible sur le commerce international.
L'euro connaît donc quelques difficultés à l'approche de la réunion de politique de la BCE. Cela se remarque aussi au niveau du cours EUR/GBP. La paire de devises a testé le bas de la fourchette de fluctuation latérale à 0,8864, même si les membres de la Banque d'Angleterre plaident en faveur d'un nouvel assouplissement monétaire et que le négociateur du Brexit de l'UE, Michel Barnier, a à nouveau qualifié les discussions avec son homologue britannique de perte de temps.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC