Pas de nouveau "whatever it takes"...
"Whatever it takes". En promettant de faire tout ce qui était nécessaire, l'ancien président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, était devenu le chouchou des marchés. Dans le contexte de la crise du coronavirus, les marchés espéraient hier que sa successeure, Christine Lagarde, allait aussi annoncer sa propre version du "whatever it takes". Une tâche quasi impossible étant donné le peu de munitions dont dispose encore la BCE après les mesures déjà prises pour faire tourner le moteur économique. Cela s'est d'ailleurs reflété dans la réaction des marchés, que nous pourrions qualifier de déception "téléphonée".
D'abord quelques mots sur la décision elle-même. Tout d'abord, la BCE a laissé ses taux directeurs inchangés, alors que le marché anticipait une baisse de 10 points de base. Il est selon nous logique que la banque ne réponde pas à cette demande d'assouplissement à tout prix. En fait, personne ne s'attendait vraiment à ce que les taux deviennent encore plus négatifs (le taux de dépôt se trouve aujourd'hui à -0,50%). En quoi cela aurait-il aidé? Un banquier central ne peut évidemment jamais admettre officiellement que la politique de taux a atteint son plancher absolu. La BCE a, en revanche, pris d'autres mesures ciblées. Ainsi, les conditions des opérations de financement à long terme (TLTRO) ont encore été assouplies (taux plus bas) pour la période allant jusqu'à juin 2021. La banque poursuit par ailleurs son programme d'achat d'obligations de 20 milliards d'euros par mois, mais elle a aussi débloqué un montant de 120 milliards d'euros pour des achats supplémentaires d'ici à la fin de l'année. Elle n'a cependant pas précisé de quelle manière elle allait répartir ces achats (obligations d'entreprise et obligations d'État). Le marché s'attendait à plus de clarté à ce niveau. Lagarde a expliqué qu'elle était prête à utiliser toute la flexibilité du programme d'achat, mais a aussi ajouté que la banque ne dérogerait pas aux règles et restrictions existantes. Comprenez: la banque n'achètera pas des volumes disproportionnés d'obligations italiennes ou autres obligations périphériques. Durant la conférence de presse, la présidente a assez maladroitement indiqué que ce n'était pas la tâche de la BCE de maintenir les primes de risque de certains pays basses. Elle aurait mieux fait de s'abstenir.
Les marchés ont entendu et les bourses européennes ainsi que les obligations périphériques ont plongé encore davantage dans le rouge. Dans une interview plus tard dans la journée, Christine Lagarde a tenté de nuancer ses propos, mais le mal était fait. La présidente de la banque a également déclaré à plusieurs reprises que les autorités budgétaires/gouvernements se devaient de prendre l'initiative dans cette crise. C'est le cas, mais les marchés ont simplement vu dans ces déclarations la preuve que la BCE ne pouvait et/ou ne voulait plus faire grand chose.
Autre évolution qui mérite d'être soulignée: contrairement aux jours précédents, ce n'est pas l'euro, mais à nouveau le dollar qui a profité de cet environnement de crise. Les mouvements de marché auxquels on assiste à l'heure actuelle n'ont pas tous une explication logique (l'or a aussi plongé hier, par exemple). Dans un contexte où les investisseurs sont surtout à la recherche d'actifs liquides, le dollar bénéficie toujours d'un avantage par rapport à l'euro (et au yen). Une autre explication pourrait être que le marché redoute de voir la crise du coronavirus provoquer à nouveau des débats au sein de l'UE sur qui va (doit) payer quoi, comme ce fut déjà le cas lors de la crise de l'euro. Peu de temps après la décision de la BCE, la Fed a à son tour annoncé d'importantes mesures de soutien de la liquidité. Cela a fait perdre quelques plumes au dollar, mais le billet vert reste visiblement le mieux positionné en tant que valeur refuge ultime dans un contexte de tension extrême. La bonne négociabilité constitue ici le principal critère d'appréciation.