L'inversion de la courbe des taux US annonce-t-elle une récession ?
L'annonce d'un cessez-le-feu dans le conflit commercial entre les États-Unis et la Chine a été diversement accueillie sur les marchés hier. Seules les bourses ont suivi le schéma "risk-on" classique et ont gagné du terrain. Les devises sensibles à l'évolution du sentiment ont en revanche déçu. Et le marché obligataire a aussi réagi de manière inattendue. Un climat positif autour du risque, une flambée des prix pétroliers et une solide confiance des entreprises US (indice ISM) sont en principe des facteurs qui doivent pousser les taux vers le haut. La hausse affichée par, entre autres, les taux américains (toutes échéances confondues) en début de séance n'avait donc en ce sens rien d'étonnant. Mais la forte baisse qui a suivi - principalement à l'heure du réveil des investisseurs américains - a de quoi laisser perplexe.
Il est frappant de constater que ce sont surtout les taux dans la partie longue de la courbe US qui ont souffert. Les taux à 5 ans, 10 ans et 30 ans ont tous perdu plus de 6 points de base hier. Et le recul s'est poursuivi ce matin. Résultat, nous nous retrouvons, pour la première fois depuis 2007, avec une courbe des taux inversée, où la différence entre le taux à 5 ans et les taux à 2 et 3 ans est négative. L'écart entre les taux à 10 et à 2 ans - généralement un bon indicateur avancé de récession - est tombé à un plus bas cyclique d'à peine 13 points de base.
Les taux américains se trouvent sous pression baissière depuis le début du mois de novembre. Plusieurs raisons expliquent cela. Le marché est de plus en plus attentif à l'impact du ralentissement de la croissance mondiale aux États-Unis. Et ce, à un moment où les côtés négatifs des mesures de relance fiscales de Trump commencent doucement à apparaître. Cette crainte est également de plus en plus palpable à la banque centrale américaine (Fed). De nombreux gouverneurs, parmi lesquels le président Jerome Powell, se sont ainsi montrés plus prudents ces dernières semaines. Un sentiment qui est d'ailleurs confirmé dans le procès-verbal de la dernière réunion de politique, où le risque de surchauffe de l'économie a cédé sa place à des risques baissiers.
D'un point de vue historique, il faut généralement 18 mois entre l'inversion de la courbe des taux et l'arrivée de la récession. Il est compréhensible que, dans cette phase du cycle économique, le marché tente de localiser le point de basculement. Nous pensons toutefois que les mouvements des taux d'hier et de ce matin sont excessifs. Ils semblent en effet annoncer l'imminence d'une récession. Or, les chiffres publiés aux États-Unis ne montrent pour le moment quasiment aucun signe allant dans ce sens (cf. l'indicateur de confiance ISM à 59,3). En outre, lors du dernier cycle de resserrement, la Fed avait encore relevé son taux directeur à 5 reprises après l'inversion. Le positionnement du marché (2 hausses de taux à court terme, baisses de taux en fin 2020) semble donc particulièrement accommodant. Beaucoup dépendra de la réunion de politique de la Fed du 19 décembre. La banque centrale publiera alors de nouvelles prévisions pour la croissance, l'inflation et les taux (les "dot plots"). Si le marché perçoit le moindre doute, cela risque de se transformer par la suite en une "prophétie autoréalisatrice".