Flambée d'une obligation à 100 ans
En septembre 2017, l'agence de la dette autrichienne avait émis une obligation d'État d'une durée de 100 ans. Une pièce de collection pour certains, une hérésie totale pour d'autres. À 2,1%, le coupon était à peine supérieur à l'objectif d'inflation de la Banque centrale européenne. En outre, la croissance était alors particulièrement soutenue dans la zone euro et la BCE était prête à normaliser (prudemment) sa politique.
L'évolution récente du cours de cette obligation à 100 ans autrichienne donne tort aux réfractaires. Depuis octobre, il a en effet grimpé de pas moins de 47%, en passant de 110 à 155! Quel autre placement a fait mieux?! L'évolution du cours reflète parfaitement la réalité économique et monétaire dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. L'escalade des tensions commerciales fait planer un risque sur la croissance mondiale, les prévisions d'inflation ne cessent de diminuer et les banques centrales se tiennent prêtes à rouvrir les vannes monétaires.
Le président de la BCE, Mario Draghi, a fait une intervention remarquée hier à Sintra. Cette petite ville portugaise sert depuis quelques années de décor pittoresque à une conférence de la BCE. Estimant que le message qu'il avait envoyé en mai n'avait pas encore été suffisamment compris par les marchés, Draghi en a donc remis une couche. C'est la crédibilité de la BCE, son bien le plus précieux, qui est en jeu. Face à un important indicateur d'inflation qui tourne autour de 1,1% (le niveau le plus bas jamais enregistré et loin en dessous de l'objectif de 2% que la banque poursuit à moyen terme) et aux risques économiques qui rendent la situation encore plus compliquée, le président de la banque a donc une nouvelle fois insisté sur l'éventualité d'une nouvelle baisse de taux et une possible reprise du programme d'achat d'obligations (souveraines).
La courbe des taux des forwards sur l'Euribor à 3 mois, qui représente les taux Euribor à 3 mois attendus, tient actuellement déjà compte d'une baisse du taux (de dépôt) de 20 points de base (!) d'ici mi-2020. Le rallye des emprunts d'État (périphériques) et l'aplatissement des courbes de taux montrent que les investisseurs croient en une nouvelle vague d'achats d'obligations. Des pays comme l'Italie, le Portugal et l'Espagne (mais aussi la Belgique) ont donc sauté sur l'occasion et ont émis de nouvelles obligations avec de longues échéances. La quantité d'obligations proposant un taux négatif a entre-temps dépassé la barre des 11 000 milliards d'euros, soit plus qu'en 2016. L'option put gratuite des banques centrales est du pain bénit pour les bourses. Les grands indices européens ont gagné jusqu'à 2% et les marchés d'actions américains ont de nouveaux records absolus en ligne de mire. Le marché des changes est en revanche de nouveau resté particulièrement calme. Les pertes pour l'euro auraient pu être beaucoup plus importantes vu le contexte. Le cours EUR/USD oscille autour de 1,12.
Les investisseurs sont restés prudents parce qu'ils s'attendent à un numéro identique de la part du président de la Fed, Jerome Powell, à l'issue de la réunion de politique de la banque centrale américaine. Nous tablons sur une nouvelle fonction de réaction de la Fed, avec un accent sur des baisses de taux destinées à soutenir l'économie. Sans oublier le manque de pression inflationniste, qui pèse aussi dans la balance. Les taux américains sont orientés à la baisse et ce n'est probablement qu'une question de temps avant que la banque centrale n'évoque entre les lignes la vigueur du dollar.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC