Poutine 4.0 : faut-il s’attendre à des changements ?

Au mois de mars, Vladimir Poutine a été élu président de la Fédération de Russie pour la quatrième fois. En guise de cadeau de bienvenue, le président américain Donald Trump a infligé une série de nouvelles sanctions aux grands oligarques russes et à leurs entreprises, de quoi mettre à mal l’ambitieuse réforme de l’économie russe planifiée par Poutine. L’histoire montre que, même en l’absence de sanctions, une transformation majeure de l’économie russe est peu probable. C’est pourquoi l’économie russe devrait plus que probablement rester fortement dépendante de son secteur des matières premières, un modèle économique qui s’accompagne de lacunes institutionnelles persistantes.

La Coupe du monde dont le coup d’envoi a été donné hier en Russie devrait attirer plus de 3 milliards de téléspectateurs dans le mois à venir. Les ambitions de l’équipe russe de football sont cependant très modestes, contrairement aux ambitions économiques. Si l’on s’en tient au discours inaugural du président Vladimir Poutine, l’objectif est de faire de la Russie l’une des cinq plus grandes économies au monde dans les six prochaines années.

Un objectif ambitieux parsemé de nombreux obstacles

Au mois de mars, Vladimir Poutine a été élu à présidence russe pour la quatrième fois. Il doit ce succès non pas à une amélioration du niveau de vie, mais à un climat instable ainsi qu’à une série de promesses irréalistes. L’économie russe continue de ressentir les effets de la récession économique de 2015-16, causée par l’effondrement des prix du pétrole et accentuée par les sanctions occidentales en réponse à l’annexion de la Crimée. La faible croissance réelle du PIB (1,5% l’année dernière) montre que la Russie peine à poursuivre les "objectifs de développement nationaux" qu’elle s’est fixés d’ici 2024. Parmi ces objectifs figurent non seulement la nécessité de hisser la Russie dans le top cinq des plus grandes économies mondiales, alors qu’elle occupe actuellement la douzième position, mais également la volonté de réduire de moitié le niveau de pauvreté, d’assurer un accroissement durable et naturel de la population, d’augmenter la productivité de manière significative et d’encourager l’innovation technologique.

Ces objectifs exigent une refonte complète du modèle économique russe actuel, qui repose principalement sur un stock colossal de ressources naturelles, en particulier de pétrole et de gaz (figure 1). Ceux-ci représentent ensemble plus d’un tiers des revenus du budget de l’État et plus de la moitié des exportations. En outre, la Russie présente des lacunes institutionnelles persistantes telles que la participation croissante des autorités dans l’économie (environ 70%), une corruption largement répandue et une faible capacité d’innovation. À long terme, la Russie devra également faire face aux conséquences d’une évolution démographique défavorable contre laquelle le gouvernement n’a encore pris aucune mesure à ce jour.

Figure 1 - L’économie russe reste fortement dépendante du pétrole

Source : KBC Group Economic Research sur la base des chiffres de Rosstat

En outre, la Russie est aux prises avec les sanctions économiques que l’Occident lui a infligées en réponse à l’annexion de la Crimée. Ces sanctions imposées par les États-Unis et par l’UE limitent l’accès des entités russes aux marchés financiers internationaux ainsi qu’aux technologies étrangères dans les secteurs de l’énergie et de l’armement. Au mois d’avril, les États-Unis ont infligé de nouvelles sanctions à la Russie en réaction à son ingérence présumée dans les affaires intérieures américaines. Pour la première fois, les sanctions n’étaient pas seulement dirigées vers des individus, mais également vers les entreprises contrôlées par ceux-ci. Le marché de l’aluminium a été particulièrement touché étant donné les sanctions infligées au géant russe de l’aluminium Rusal (qui représente 6% de la production mondiale). Un possible renforcement des sanctions accroît le climat d’incertitude et affecte le climat de confiance. L’accès restreint aux technologies occidentales semble être l’aspect le plus problématique à long terme, car il met à mal le potentiel d’innovation de la Russie, qui n’est déjà pas au beau fixe.

2018 n’est pas 2014

D’un autre côté, la Russie se trouve dans une position plus confortable qu’en 2014. Tout d’abord, elle jouit d’une position extérieure renforcée, faisant de son économie l’une des moins vulnérables des marchés émergents. La balance courante présente un excédent suffisant (figure 2), les réserves de change sont en hausse, le ratio de la dette publique est relativement modeste et la part de dettes étrangères volatiles à court terme diminue. En outre, la Russie est parvenue à améliorer son cadre macroéconomique en permettant au taux de change du rouble de flotter librement, en instaurant le régime de l’objectif inflationniste et en menant une politique budgétaire anticyclique. Celle-ci prévoit notamment que les revenus du pétrole qui excèdent le budget (avec une valeur de référence prudente de 40 USD par baril) soient versés dans le Fonds national du bien-être.

Figure 2 - Excédent sain de la balance courante (solde en % du PIB)

Source : KBC Group Economic Research sur la base des chiffres de Rosstat

Mais la principale différence par rapport à 2014 réside dans la hausse des prix du pétrole. Elle explique pourquoi les nouvelles sanctions n’ont pas eu le même effet déstabilisateur qu’en 2014. À cet égard, la Russie a su tirer profit de sa participation à l’accord de l’OPEP+ (14 états membres de l’OPEP et 10 états non membres) qui, depuis 2017, a réduit la production globale de 1,8 million de barils par jour, soit environ 2% de la production mondiale de pétrole. Cette situation a entraîné récemment une hausse temporaire du prix du pétrole à 80 dollars le baril, soit 70% de plus qu’au début de l’accord. Bien que la Russie insiste à présent pour qu’on assouplisse progressivement ces limites de production, il est probable qu’une certaine forme de collaboration subsiste avec le cartel. En effet, cette collaboration a été profitable à la Russie non seulement en raison de la hausse des prix du pétrole, mais également parce qu’elle a renforcé sa position internationale de par le rôle majeur qu’elle a joué dans cette coopération.

L’histoire se répète

La collaboration fructueuse dans le cadre de l’OPEP+ nous apprend surtout une chose : la dépendance à l’égard du pétrole demeure élevée. Les plans de réforme du président Vladimir Poutine ne sont pas nouveaux, mais il lui manque, comme par le passé, des mesures concrètes pour les réaliser. En outre, la conjoncture économique est moins favorable qu’au moment où le prix du pétrole se situait juste au-dessus des 100 USD. Alors, dans quel état Vladimir Poutine laissera-t-il l’économie russe après ses six dernières années de présidence (à supposer que son mandat s’arrête là) ? En bref : l’histoire se répète...

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