Nouveau TTIP : une alternative à part entière à la guerre commerciale
Les relations commerciales transatlantiques restent les relations commerciales les plus robustes et les plus différenciées au monde, malgré l'impressionnante progression des économies émergentes. Les tensions actuelles liées au protectionnisme américain croissant risquent fort de susciter pareille réaction du côté de l'Europe. Ce qui serait une erreur historique. L'Europe peut, et doit montrer qu'elle est capable de se défendre, et brandir la menace de mesures de rétorsion drastiques pour juguler les entraves commerciales américaines unilatérales. Dans le même temps, l'UE doit proposer une alternative aux États-Unis, et notamment une intégration et une collaboration plus marquées au niveau du commerce et des investissements. Traduction : donner une nouvelle chance au Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) !
Déficits jumeaux
Le président américain Donald Trump est confronté à un double problème : un déficit public croissant et un déficit commercial grandissant, un phénomène mieux connu sous le nom de déficits jumeaux. En ce qui concerne le premier volet, le président "himself" est en partie responsable. Le gouvernement et le congrès américains, que domine le Republican Party, sont partisans d'une relance fiscale plus marquée. Ils comptent sur l'allégement de la fiscalité et les investissements publics pour maintenir le moteur économique américain en marche, même s'ils connaissent l'une des plus longues périodes de haute conjoncture de l'histoire. Ces mesures ont du sens d'un point de vue économique et en Europe, nous ne pouvons qu'en rêver. Mais dans le même temps, le timing de cette politique suscite d'importantes interrogations. L'économie américaine présente un risque de surchauffe et les finances publiques sont dans un état de plus en plus lamentable.
Le deuxième volet des déficits jumeaux, à savoir l'important déficit commercial croissant (568 milliards USD en 2017), est franchement moins le résultat de la politique intérieure américaine. Ce n'est pas le déficit commercial en soi qui pose problème, mais bien la raison de ce déficit. De nombreux exportateurs étrangers sont actifs sur le grand marché américain en raison de la globalisation exagérée. Ce sont surtout les économies émergentes, en particulier la Chine et les pays d'Amérique du Sud, qui ont conquis leur place au sein de l'économie américaine. Ceci dit, les mesures politiques américaines jouent également un rôle dans cette évolution. La robustesse des performances économiques américaines est essentiellement liée à la forte croissance de la consommation. Conjuguée à une désindustrialisation extrême, cette société axée sur la consommation connaît une importante demande d'importations pour les produits étrangers, ce qui donne lieu à des déficits commerciaux croissants avec tous les partenaires commerciaux de taille (voir figure 1).
Figure 1 - Balance commerciale des États-Unis avec ses principaux partenaires commerciaux (en milliards USD)
La désindustrialisation américaine montre que les gouvernements américains successifs ont peu investi dans la compétitivité internationale des secteurs industriels, entraînant un recul des performances en matière d'exportations dans de nombreux secteurs. La croissance des exportations dans les services n'a pu compenser le phénomène que partiellement. Le déficit commercial américain est donc à la fois lié à l'augmentation des importations et à la faiblesse des exportations.
Trump et Louis XIV
La réaction de Trump au déficit commercial croissant est fort compréhensible. Limiter les importations permet en principe de rétablir l'équilibre. Il existe certainement des arguments économiques valables pour dire que la politique commerciale de certaines économies émergentes, et en particulier de la Chine, n'est pas conforme aux règles du jeu de l'Organisation mondiale du commerce. Les exportations vers la Chine sont entravées par la discrimination systématique des producteurs étrangers, des tracas administratifs (red tape) et le manque de protection de la propriété intellectuelle. Les exportations chinoises sont en outre stimulées de manière non conforme au marché par le biais de subsides dédiés à la production et aux exportations. Tant les États-Unis que l'UE y ont réagi, à juste titre, en adoptant des réactions de défense du commerce : des mesures anti-dumping mais aussi des mesures anti-subsides sont prises de manière ferme afin de s'attaquer aux pratiques commerciales chinoises déloyales. Cette politique est conforme aux règles de l'Organisation mondiale du commerce. Il est pourtant clair que cette approche n'est pas suffisamment effective. Mieux vaut donc s'attaquer aux pratiques commerciales déloyales de la Chine en ayant recours aux négociations internationales, de préférence dans un cadre multilatéral, plutôt que de réagir en prenant des mesures protectionnistes.
Les réactions protectionnistes reflètent une attitude fondamentalement erronée vis-à-vis du commerce, à savoir la conviction que les exportations sont bonnes et les importations, mauvaises. Le Roi-Soleil français Louis XIV affirmait déjà au XVIIe siècle qu'il était partisan d'une augmentation des exportations françaises dans la mesure où elles généraient de l'or, mais qu'il était contre les importations parce qu'elles coûtaient de l'or à l'État français. Les mesures que prend actuellement l'administration Trump ressemblent étrangement à la politique commerciale du Roi-Soleil français. Les importations représentent néanmoins un important gain sur le plan du bien-être, sous la forme de baisse des prix, de multiplication des options pour les consommateurs et les entreprises, d'effets d'apprentissage, d'accès à la technologie et à des facteurs de production rares, etc. Réduire les importations revient dès lors à hypothéquer le bien-être.
Les déficits commerciaux structurels doivent être adaptés. Les déséquilibres macroéconomiques perturbent à plus long terme les rapports économiques et la stabilité entre les pays. Au lieu de limiter les importations, on peut aussi stimuler les exportations pour prendre le déficit commercial à bras le corps. Et à cet égard, les États-Unis et l'UE pourraient être amis, plutôt qu'ennemis.
Nouveau TTIP : une réaction courageuse de l'Europe
Tant les États-Unis que l'UE sont confrontés à une forte dynamique de l'économie mondiale. Les économies émergentes revendiquent de plus en plus explicitement leur place sur la scène mondiale. Une collaboration entre les États-Unis et l'UE pourrait à nouveau renforcer la position de l'Occident dans ce monde en perpétuelle évolution. Une intégration poussée sur le plan du commerce et des investissements constitue à cet égard un important fondement. Ce raisonnement constituait la base des négociations TTIP entre les États-Unis et l'UE. Ces négociations ont été mises en veilleuse par manque d'enthousiasme du gouvernement américain actuel. Un futur accord TTIP pourrait ceci dit remédier au déficit commercial structurel américain à plus long terme. En libéralisant le commerce et les investissements, mais plus encore, en développant ensemble des normes et des régulations transatlantiques pour les activités de services, les États-Unis et l'UE pourraient former un bloc et faire office de contrepoids face aux économies émergentes. Cette collaboration USA-UE ne doit certainement pas donner lieu à une course au sommet mais elle peut justement offrir une protection de qualité aux consommateurs et aux entreprises partout dans le monde. Plus forts ensemble dans un monde en mutation pourrait être une alternative prometteuse à une guerre commerciale transatlantique.