BCE : déjà l'heure de ralentir ?
Comme souvent, l’exégèse d’une décision de taux (de la BCE) doit se faire à plusieurs niveaux. En quelques mots et en anglais, l'intervention pourrait se résumer comme suit "a supersized dovish rate hike". La BCE a de nouveau relevé ses taux directeurs de 75 points de base. Le taux de facilité de dépôt s'élève ainsi 1,5 %. Voilà pour la décision en tant que telle.
Et maintenant, l’exégèse. La déclaration de politique est beaucoup moins limpide qu’en septembre. Manifestement, il a été plus difficile d'exprimer de manière cohérente les opinions des 25 membres du conseil. Des rumeurs selon lesquelles la décision n’a pas été prise à l'unanimité ont d’ailleurs rapidement circulé. En septembre, tout le monde était d’accord pour dire que la course de rattrapage visant à endiguer l’inflation impliquerait de fortes hausses de taux lors deS prochaineS réunionS. Les accents sont à présent mis autrement. La BCE affirme ainsi que la politique est déjà devenue moins accommodante après les resserrements déjà effectués. Les taux vont encore être relevés, mais le texte n'évoque plus deS réunionS, même si la présidente, Christine Lagarde, a déclaré qu’il restait encore du chemin à parcourir. Les prochaines interventions seront basées sur les PRÉVISIONS d’inflation (et donc plus vraiment sur son évolution récente), en tenant compte de ce qui a déjà été fait et du temps nécessaire pour que les mesures déjà prises fassent leur effet. C’est évidemment toujours le cas, mais cette formulation permet de dégager une marge de manœuvre. La BCE reconnaît certes toujours que l’inflation reste beaucoup trop élevée, mais d'un autre côté, elle met aussi davantage l’accent sur l'affaiblissement de l’activité économique. Conclusion : les prochaines décisions en matière de taux seront examinées réunion par réunion, en fonction des données évidemment. Dit plus clairement : nous préférons ne pas montrer notre jeu.
Outre la décision de taux, le marché attendait également des indications à propos de la réduction progressive du portefeuille d'obligations (APP). La BCE annoncera les grandes lignes du programme en décembre. D'après les "bruits de couloir", cela ne signifie pas nécessairement que la réduction du bilan commencera dès le début de l’année prochaine. Une fois de plus : la banque ne veut pas montrer son jeu. Lagarde a également clairement expliqué que l’ère de la "forward guidance" était définitivement révolue. Ajoutons encore une remarque d'ordre technique : La BCE rendra le taux d’intérêt sur les opérations TLTRO moins attrayant pour les banques à partir du 23 novembre. Elles auront plus de chances de les rembourser anticipativement, ce qui devrait réduire la liquidité du marché.
Pour le marché, la décision de la BCE s’inscrit dans la lignée du sentiment "plus accommodant" qui prévoyait des interventions moins agressives. Les taux allemands ont perdu jusqu'à 18 points de base (5 ans). Après un relèvement de 50 points de base en décembre, le marché voit le taux directeur culminer à 2,50 % l’année prochaine, contre 3,0 % il y a un peu plus d’une semaine. Le passage du cours EUR/USD au-dessus de la parité s'est vite interrompu. Ces mouvements sont parfaitement compréhensibles alors que le marché s’attend à ce que la Fed passe à la vitesse inférieure. Nous pensons toutefois que le marché des taux de l’UEM va trop vite en besogne. Un nouveau test de la dépendance aux données a lieu aujourd'hui. L’inflation française a, contre toute attente, connu une accélération en septembre, de 6,2 % à 7,1 % ! Les premières statistiques régionales en Allemagne suggèrent à nouveau un chiffre largement supérieur à 10 %. Un ralentissement est en revanche observé en Espagne. Les données montrent que le débat au sujet d’un nouveau "supersized dovish rate hike" en décembre n’a pas encore été tranché.