Vers une réunion “historique” de la BCE!?
“Historique”. Un qualificatif que l’on entendra sans doute beaucoup lorsque ce jeudi, la BCE relèvera les taux pour la première fois depuis juillet 2011. Le relèvement précédent des taux était intervenu dans un contexte difficile à imaginer aujourd’hui: malgré le contrecoup de la grande crise financière, le comité de politique du président Trichet s’était senti obligé d’intervenir pour lutter contre une inflation qui tournait autour des 3,5%. La BCE de Trichet n’avait en effet qu’un seul principe directeur: l’inflation. Par la suite, ce relèvement effectué en 2011 a invariablement été qualifié d’erreur historique. Une autre rupture “historique” est intervenue plus tard dans la même année, le président Draghi s’empressant de corriger le “faux pas” de son prédécesseur dès son entrée en fonction, avant de créer tout un arsenal d’instruments de politique au fil de son mandat. Ces instruments visaient non pas tant à limiter l’inflation à 2%, mais plutôt à éviter qu’elle ne tombe à un niveau structurellement inférieur.
Pour l’instant, nous restons prudents vis-à-vis de l’utilisation du terme “historique” à l’approche de la réunion de jeudi. Après une longue période de déni (l’inflation serait temporaire, elle repasserait sous la barre des 2% à la fin de l’horizon de politique…), on peut se demander si un relèvement à -0,25% (avec un taux d’inflation actuel à 8,6%) est vraiment le signe que l’environnement inflationniste est déjà redevenu le seul et unique principe directeur de la BCE de Lagarde. Pour cela, il faudrait au moins un pas de 50 points de base (la BCE ne l’a franchi que deux fois, en 1999/2000). Les rumeurs qui vont inévitablement bon train à l’approche de la décision suggèrent toutefois que le débat n’est pas encore terminé. Mais même avec un pas de 50 points de base, nous sommes d’avis que le caractère “historique” du cycle actuel tiendrait toujours un peu au contexte, à savoir, qu’une banque centrale ayant pour seul mandat la “stabilité des prix” autour de 2% ait attendu aussi longtemps avant d’intervenir. En attendant, l’évolution des cours le mois dernier montre bien que le marché doute que nous soyons face à un véritable “changement de paradigme”. Du sommet atteint à la mi-juin, quand le marché tenait compte d’un taux de 2,25%/2,5% pour le milieu de l’année prochaine, nous sommes passés à une estimation de 1,25%/1,50% avec les craintes récessionnistes. Il y a donc certainement une marge de manœuvre pour une révision à la hausse si la BCE, peut-être à son corps défendant, se concentre davantage sur l’inflation.
Un autre signe que la politique de la BCE accorde toujours beaucoup d’attention à la gestion de “l’ère post-Draghi” plutôt que de se focaliser sur l’inflation structurellement élevée? Ne cherchons pas plus loin que le deuxième sujet majeur à l’agenda de la réunion: le nouvel instrument européen visant à éviter la fragmentation du marché. Après la fin des achats nets d’obligations dans le cadre du PEPP et de l’APP, la BCE veut/doit éviter que le taux d’intérêt généralement plus élevé n’aboutisse à des conditions financières plus strictes dans des pays comme l’Italie que dans les pays centraux, en raison des primes de risque plus élevées. Or ici, la BCE aborde la frontière (politiquement) sensible entre le déploiement uniforme de la politique monétaire d’une part et le financement non autorisé des pouvoirs publics d’autre part. Des conditions d’orthodoxie fiscale pourraient permettre de surmonter les réticences. Mais si celles-ci n’étaient pas satisfaites, l’efficacité du programme pourrait s’en trouver limitée en cas de tensions. Autrement dit: un programme efficace se doit d’être inconditionnel, mais cela reviendrait à signer un chèque en blanc à des pays comme l’Italie, ce que certains autres pays ne seraient pas prêts à faire. Ainsi, la question de savoir si l’UE obtiendra ou non un instrument anti-fragmentation efficace sera probablement tout aussi importante pour décider du caractère “historique” de cette réunion de politique – même si elle marque le début officiel du cycle monétaire européen.