Le yuan: d’une oasis de quiétude à une mer déchaînée
Ces derniers mois, le bilan du yuan chinois a été impressionnant. À partir du second semestre 2021, la devise s’est mise à grimper par rapport au dollar américain pour atteindre son niveau le plus élevé depuis 2018 au premier trimestre de cette année, autour de 6,30 USD/CNY. Ce fut un processus très graduel – et souvent au mépris de toute logique. D’un point de vue financier d’abord, en raison de la politique monétaire très divergente. La PBOC maintient une politique accommodante en Chine. Avec une inflation d’à peine 1,5% en mars, elle jouit d’une certaine liberté à cet égard. En revanche, la Fed américaine va bientôt relever ses taux à répétition, par paliers de 50 points de base. Le différentiel d’intérêt a clairement joué en faveur du dollar américain (voir graphique). Sur le plan économique ensuite, la Chine applique une gestion très stricte de la pandémie, dont les répercussions dominent à nouveau l’actualité, surtout depuis le premier trimestre de cette année. Toute flambée du virus est aussitôt étouffée dans l’œuf par des mesures de confinement. Or le yuan a trop souvent ignoré les conséquences importantes de cette politique, tant sur les consommateurs que sur les entreprises.
En quelques jours à peine, la mentalité des marchés a changé du tout au tout: la devise chinoise est passée d’une oasis de quiétude et de stabilité à une mer déchaînée. Tout a commencé avec la publication des chiffres de croissance du premier trimestre, lundi dernier. Avec 1,3% en glissement trimestriel, ils n’étaient pas mauvais en soi, mais ils reflétaient une image faussée. En creusant un peu plus profondément, l’on constatait que les résultats de janvier et de février sauvaient surtout les meubles. Le mois de mars a illustré on ne peut plus clairement l’impact économique de la politique sanitaire stricte. L’indice PMI de confiance des entreprises, qui est passé de 50,2 à 42 en mars, en avait déjà été une démonstration éloquente. Dans les cinq jours qui ont suivi, le yuan a subi sa plus forte dépréciation depuis la dévaluation inattendue de trois jours de la banque centrale chinoise en 2015. Et à présent qu’en plus de Shanghai, les autorités ferment certaines zones de la capitale, Pékin, le yuan encaisse un nouveau coup dur. Cette situation alimente les craintes d’un nouveau recul de la demande et ne présage pas grand-chose de bon pour les problèmes d’approvisionnement généraux (et donc d’inflation). Il en résulte une vague générale d’aversion au risque, clairement visible au niveau du cours du pétrole (-5%) et des bourses (-2,5%). La devise est tombée à son niveau le plus bas depuis avril 2021. À 6,55 USD/CNY, la paire se rapproche de son sommet de mars 2021 (6,58). À ce rythme, cette dernière référence tombera très prochainement.
Ce n’est pas seulement que la paire de devises s’adapte à la réalité économique sur le terrain. Outre la faiblesse du yuan, la montée du cours USD/CNY reflète la vigueur du dollar. Le dollar pondéré des échanges commerciaux renforce ainsi sa position au-dessus du niveau de 101 aujourd’hui. Ce n’est pas un hasard si cette fluctuation récente du cours coïncide avec l’attractivité des taux américains. Le volet financier tient à nouveau davantage la route. Le taux américain à 10 ans a flirté avec le cap symbolique des 3%. La semaine dernière, le taux à deux ans a clairement dépassé la zone de résistance de 2,5% qui s’était récemment formée. Les gouverneurs de la Fed se sont montrés encore plus zélés: Bullard, le président de la Fed de St. Louis, n’excluait par exemple pas un relèvement des taux de 75 points de base. Les marchés monétaires américains tiennent compte d’un peu moins de quatre relèvements successifs de 50 points de base, nonobstant une correction probablement temporaire (taux à 2 ans: -8 pb) aujourd’hui.