Piètres payrolls, tensions européennes

Traditionnellement, les principaux chiffres économiques américains sont publiés au cours de la première semaine du mois. Le rapport officiel sur le marché de l’emploi (les “payrolls”) en constitue le point d’orgue. Le pic espéré s’est transformé en douche froide: en novembre, 245 000 emplois ont été créés, soit nettement moins que les 460 000 espérés et le rythme le plus lent depuis le début de la reprise en mai. Le taux de chômage est certes retombé de 6,9% à 6,7%, mais pour de mauvaises raisons: de plus en plus d’Américains se découragent et interrompent leur recherche d’emploi. Entre-temps, près de 4 millions de personnes sont venues grossir les rangs de l’armée des chômeurs de longue durée (> 27 semaines). Ensemble, ils représentent environ 37% du nombre d’Américains sans emploi. La montée crescendo des cas de coronavirus aux États-Unis et les mesures (locales) restrictives laissent présager peu d’améliorations à court terme pour le marché de l’emploi américain.
Fut un temps où des payrolls aussi décevants auraient poussé les taux d’intérêt américains et le dollar à la baisse. Sur les marchés des taux, la mécanique est en tout cas grippée. Après une baisse timide, une forte hausse s’en est suivie: la partie longue de la courbe a grimpé à près de 10 points de base. Le taux américain à 10 ans a testé son niveau record de 0,97% de novembre. Et ce, sur de mauvais payrolls! Cette évolution en dit long sur le sentiment sous-jacent du marché, qui entretien l’espoir (pervers) que d’aussi piètres chiffres augmenteront la pression politique en vue de l’approbation d’un nouveau plan de soutien fiscal d’ici la fin de l’année. En tout cas, les démocrates et les républicains ont repris leur parade nuptiale depuis que la période de transition a définitivement commencé. De manière sous-jacente, la divergence entre les prévisions d’inflation croissantes et la baisse des taux réels s’accentue. Différents indicateurs (de marché) des prévisions d’inflation américaine approchent de leur sommet de 2019, tandis que les taux réels reculent à nouveau vers les -1%. Ce cocktail mortel joue déjà en défaveur du dollar américain depuis six mois. Ce n’est qu’en dernier recours que les investisseurs ont pris quelques bénéfices sur leurs positions courtes vendredi soir, mais les seuils de rupture technique (dus au soutien du dollar) du début de la semaine sont restés en place. Le cours EUR/USD cote toujours au-dessus de 1,2011 et le dollar pondéré des échanges commerciaux (DXY) se maintient sous 91,75.
Ce matin, le marché marche sur des œufs avec le Brexit, la réunion de la BCE et le sommet européen (pour le budget) comme principaux points à l’ordre du jour cette semaine. Les négociations commerciales entre l’UE et le Royaume-Uni butent toujours sur les mêmes obstacles. Le premier ministre britannique Johnson serait disposé à couper court à toute discussion faute d’accord dans les 48 heures. La livre britannique se ressent de l’incertitude. Le cours EUR/GBP dépasse 0,91 pour la première fois depuis octobre. Du côté de la BCE, la semaine dernière, les rumeurs allaient bon train selon lesquelles le programme d’achats d’urgence face à la pandémie serait prolongé de 12 mois (jusqu’à mi-2022) et augmenté de 500 milliards d’euros (à 1 850 milliards d’euros). Les marchés ont probablement intégré en grande partie la possibilité d’une telle salve d’honneur. Enfin, vendredi, les chefs d’État européens tâcheront d’arrondir les angles avec la Pologne et la Hongrie. Objectif: désamorcer la bombe du veto contre le budget européen et le soutien fiscal.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC