Taux de change et inflation: la patience récompensée
Hier, deux nouvelles ont dominé les marchés qui continueront encore longtemps à produire leurs effets. Après un vigoureux rebond en juillet, l’inflation dans la zone euro s’est à nouveau repliée, à -0,2% en août. L’inflation de base est retombée à 0,4%. En parallèle, l’euro a résolument poursuivi sa progression par rapport au dollar et flirte désormais avec le seuil psychologique de 1,20. La montée abrupte de la monnaie unique a déjà fait couler beaucoup d’encre, mais étonnamment peu d’analystes ont évoqué le lien entre l’inflation et les taux de change. Pourtant, il existe une théorie économique fondamentale qui semble pour une fois avérée: la parité du pouvoir d’achat (purchasing power parity). Cette théorie énonce que les écarts d’inflation entre les pays sont compensés à plus long terme par le taux de change: la devise du pays qui présente un taux d’inflation plus élevé s’affaiblit pour compenser les différences de prix et de pouvoir d’achat internationales.
Ces dernières semaines, les faits empiriques ont confirmé cette théorie. Ce n’est pas seulement que l’inflation européenne a fortement diminué ces derniers mois, de par la combinaison du cours faible du pétrole et de la baisse de l’inflation de base; l’inflation dans la zone euro est aussi restée inférieure au niveau de l’inflation américaine. Cet écart d’inflation existe déjà depuis quelques années (voir graphique), mais n’a jusqu’à présent jamais donné lieu à un affaiblissement de l’USD. Cela vient de changer. Souvent, les fluctuations des taux de change ne compensent les écarts d’inflation qu’à plus long terme: la théorie de la parité du pouvoir d’achat produit donc ses effets à retardement.
Reste à savoir à quoi est due cette correction récente? L’on peut noter que les marchés sont surtout attentifs aux perspectives d’inflation à long terme. Tant que les objectifs de la politique d’inflation de la Fed et de la BCE sont similaires et crédibles, l’on peut partir du principe que les différentiels d’inflation ne sont pas pérennes et qu’à terme, nous assisterons à une convergence. Or aujourd’hui, le marché semble plutôt convaincu que ce n’est plus le cas. Il y a plusieurs raisons à cela. Le coup de massue que la crise du coronavirus a infligé à l’économie européenne est considérablement plus rude qu’aux États-Unis, à cause des mesures de confinement plus strictes et plus longues imposées dans de nombreux États membres de l’UEM. Un choc économique plus négatif a un effet déflationniste plus marqué, qui durera sans doute aussi plus longtemps en raison d’une reprise plus lente de l’économie européenne. En outre, la Fed est allée beaucoup plus loin et a agi plus vite que la BCE en optant pour une politique de liquidités inégalée. Ce stimulus monétaire, associé à un stimulus budgétaire plus axé sur une reprise de la consommation aux États-Unis qu’en Europe, a entraîné une reprise rapide de l’économie américaine qui soutiendra aussi le niveau des prix. Des études récentes soulignent par ailleurs l’effet inflationniste de la guerre commerciale sino-américaine: de fait, les tarifs augmentent le prix des produits chinois importés. En somme, le différentiel d’inflation actuel entre les États-Unis et l’Europe est dû au cumul de nombreux facteurs et n’est pas près de disparaître.
Cerise sur le gâteau, la communication de politique de la Fed: en signalant que l’inflation pourra rester supérieure à l’objectif de politique pendant plus longtemps pour compenser la déflation actuelle et passée, la Fed ratifie un différentiel d’inflation avec la zone euro. Dès lors, tant qu’il n’y aura pas de communication similaire et sans ambiguïté de la part de la BCE, l’euro s’en trouvera renforcé – ou plutôt, le dollar en restera affaibli. Nous constatons également ces écarts au niveau des prévisions d’inflation dans les swaps liés à l’inflation.
Est-ce à dire que les derniers développements assurent le triomphe durable de la théorie économique de la parité du pouvoir d’achat? Pas nécessairement. Les cours du change ont tendance à réagir de façon excessive et des corrections (temporaires) ne sont pas à exclure. D’un point de vue économique, il reste rassurant de constater que le taux EUR-USD s’ajuste enfin aux fondamentaux économiques. Évidemment, cela n’implique pas que ce soit nécessairement une bonne nouvelle pour l’économie européenne. Après tout, une devise plus forte entravera la reprise des exportations européennes. L’automne s’annonce donc certainement tout sauf ennuyeux.