L'innovation, victime d'un compromis européen
Jour de fête à Bruxelles ce 21 juillet. Non, pas en raison de la fête nationale belge, mais bien en raison de l'accord trouvé entre les chefs d'État et de gouvernement européens, après d'âpres négociations, sur le plan de relance "Next Generation EU" et le nouveau budget pluriannuel de l'Union. Ces deux instruments européens risquent de faire encore l'objet de nombreux débats à l'avenir. Mais les marchés financiers sont surtout heureux qu'un accord ait pu être trouvé, quel que soit son contenu. Comme cela arrive de plus en plus souvent en Europe, les négociations ont finalement débouché sur un texte censé plaire à tout le monde. Ce qui explique le poids insuffisant accordé aux priorités absolues. Aujourd'hui, nous nous concentrons sur la manière dont l'Europe abordera l'innovation, laquelle constitue tout de même l'un des axes principaux de tout budget ayant pour ambition de renforcer l'économie européenne à l'avenir.
Toutes les commissions européennes n'ont pas l'occasion d'élaborer un nouveau budget pluriannuel, vu que le mandat d'une Commission dure en principe cinq ans et que le budget pluriannuel couvre quant à lui une période de sept ans . C'est déjà étonnant en soi. Le pouvoir exécutif de l'Union européenne hérite donc potentiellement des priorités de l'équipe précédente. Cela permet certes de garantir une certaine continuité, mais ce n'est pas vraiment un cadeau lorsque vous avez l'ambition de changer les choses, par exemple pour répondre à la crise climatique (via le "Green Deal" européen) ou à la crise du coronavirus (surtout en dehors du budget européen, via l'instrument "Next Generation EU"). La Commission actuelle, dirigée par Ursula von der Leyen, a donc la possibilité de fixer un budget plus en adéquation avec ses choix politiques.
Cela fait des années que l'UE veut mettre l'innovation à l'avant-plan afin de faire taire les critiques qui lui reprochent de consacrer trop d'argent à l'agriculture ou aux fonds de cohésion (inefficaces). Pourtant, soit dit en passant, l'Europe a tout de même réussi à faire bouger pas mal de choses dans ces domaines. Elle a notamment contribué à la modernisation et la réorientation de l'agriculture européenne et elle a aussi permis de mettre en place une solidarité financière avec les pays et régions plus défavorisés. L'équipe de von der Leyen a réorganisé les catégories du budget européen et a placé l'innovation sous la rubrique 1, intitulée Marché unique, innovation et numérique.
Renforcer le marché intérieur européen via la digitalisation et l'innovation est un objectif noble et ambitieux. Pourtant, cette ambition ne se reflète pas dans le budget. Le budget sur sept ans de 132,8 milliards d'euros ira en effet en décroisant, de 19,7 milliards d'euros en 2021 à 18,4 milliards d'euros en 2027 (en termes réels). Dans le cadre de ce budget, 75,9 milliards d'euros seront consacrés au programme Horizon Europe, le principal bras financier de la politique d'innovation européenne et successeur de l'actuel programme Horizon 2020. Cette enveloppe est largement inférieure aux 100 milliards d'euros qui avaient été proposés par la Commission elle-même. En d'autres termes, le compromis trouvé à Bruxelles rogne sur le budget destiné à l'innovation. Dans le procès-verbal du sommet de Bruxelles, il ressort que l'UE entend davantage intégrer la politique d'innovation dans d'autres politiques, comme la politique de cohésion. Il s'agit en soi d'un bel exercice d'efficacité, mais reste à voir si cela compensera suffisamment la diminution de budget. L'ambition de l'UE en matière d'innovation demeure, quoiqu'il en soit, très modeste.
Concrètement, cela signifie qu'il y aura à l'avenir moins d'argent pour les priorités stratégiques de la politique d'innovation européenne. Sont concernées les réponses économiques et sociales au changement climatique, la recherche sur les villes neutres en carbone, la recherche contre le cancer, la protection de nos eaux et la promotion d'une alimentation saine et sûre. Concrètement, les ambitions européennes en matière d'innovation pour une économie plus verte et la santé publique sont donc aujourd'hui sous pression. Cela semble être un prix élevé à payer pour pouvoir affecter plusieurs milliards d'euros supplémentaires à de vagues plans de relance en faveur des États membres (du sud) de l'UE ou contenter les pays les plus frugaux. En espérant que nous ne regretterons pas ce choix..