La livre sterling a besoin d'une pause
Sur la pointe des pieds… Profitant que tous les regards étaient rivés sur le dollar ces deux dernières semaines, la livre sterling s'est lancée à pas feutrés à la conquête de ses records de la fin de l'année dernière par rapport à l'euro. Le différentiel EUR/GBP de 0,8277 qui était apparu sur les écrans après la victoire électorale de Boris Johnson est tout juste resté hors de portée. Au dernier trimestre de l'année dernière, le recul marqué du différentiel EUR/GBP était principalement dû à la vigueur de la livre. L'évolution à laquelle nous venons d'assister trouve par contre avant tout son origine dans la faiblesse de l'euro. Pour cette raison, nous préférons l'aborder avec la prudence qui s'impose.
Inutile de vous rappeler le contexte. Le Royaume-Uni et l'Union européenne sont parvenus de justesse à éviter un Brexit sans accord, et Boris Johnson a consolidé sa position en tant que premier ministre. Au dernier moment, la raison l'a emporté sur l'émotion au sein de la Banque d'Angleterre, qui a renoncé à procéder à un abaissement des taux précipité. En ce début d'année, l'économie britannique se libère du carcan dans lequel l'avaient enfermée le Brexit et les élections, laissant entrevoir une amélioration spectaculaire des chiffres en janvier. Les investisseurs, enfin, se délectent déjà des incitants fiscaux qui devront relancer la croissance. Sur le marché des changes, la chute des dominos a fait retomber le différentiel EUR/GBP de son niveau le plus élevé depuis 2016 (0,9325) au niveau le plus faible observé depuis l'année du référendum.
Le premier test du seuil de 0,8277 EUR/GBP a échoué cette semaine. Et pourtant, la livre avait toutes les raisons de profiter de la faiblesse de l'euro. Selon le rapport britannique sur le marché de l'emploi qui a été publié mardi, 180.000 nouveaux emplois ont été créés au quatrième trimestre, ce qui est plus que les 148.000 unités avancées par les analystes. Le taux de chômage s'est stabilisé à 3,8%, égalant ainsi son niveau le plus bas relevé depuis la moitié des années 1970! La seule ombre au tableau était la hausse un peu plus lente des salaires (3,2% en base annuelle). Hier, le rapport de janvier consacré à l'inflation a révélé une progression plus marquée tant de l'inflation générale que de l'inflation de base sous-jacente, qui atteignent respectivement 1,8% et 1,6% en glissement annuel et se rapprochent donc davantage de l'objectif de 2% poursuivi par la Banque d'Angleterre. Selon la publication d'aujourd'hui, les ventes au détail britanniques ont augmenté de 1,6% en glissement mensuel au mois de janvier, le double de ce qu'attendait le marché et l'accroissement le plus vigoureux observé depuis mai 2018. Le consommateur britannique profite de l'augmentation du revenu disponible et se sent libéré de l'incertitude dans laquelle l'avaient plongé le Brexit et les élections. Au milieu de cette ronde infernale de statistiques économiques, le nouveau ministre des finances Rishi Sunak a confirmé que le budget pour 2020 serait bel et bien présenté le 11 mars. La faisabilité de cette date (qui marquera également l'annonce des incitants fiscaux) avait en effet été mise en doute après le départ soudain, la semaine dernière, de l'ancien ministre des finances Sajid Javid.
Quoi qu'il en soit, le différentiel EUR/GBP de 0,8277 a donc tenu bon en dépit de toutes les bonnes nouvelles et de la faiblesse de l'euro. Nous en concluons que, du moins à court terme, les cours actuels tiennent suffisamment compte des mauvaises nouvelles en provenance de l'Europe et des bonnes nouvelles au Royaume-Uni. Notre scénario de prédilection table sur une remontée au sein de la fourchette de 0,83-0,86. "The proof of the pudding is in the eating", comme dit le vieux proverbe britannique… Et demain, notre scénario sera confronté à cet ultime test. C'est en effet demain que seront publiés, de chaque côté de la Manche, les indicateurs PMI de février reflétant la confiance des entrepreneurs.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC