Comment les banques centrales peuvent-elles réagir au mieux au changement climatique?
Le changement climatique modifie le cadre politique pour les banques centrales. Les événements liés au climat sont semblables aux chocs d'offre. La nature du choc typique auquel les économies seront confrontées à l'avenir va s'en trouver modifiée. En tant qu'organes de contrôle financier, les banques centrales peuvent faciliter une tarification et une communication correctes des risques liés au climat, sans toutefois générer des coûts supplémentaires inutiles pour le secteur. Le rôle proactif de la politique monétaire est controversé. Dans le cadre d'une solution de premier rang ('first best solution'), la politique budgétaire corrige la défaillance du marché en taxant les émissions de carbone et en subsidiant une R&D respectueuse du climat. L'assouplissement quantitatif vert explicite des banques centrales comporte un risque de nouvelles distorsions du marché et de dérapage des déficits publics. Jamais l'objectif principal de la BCE - la stabilité des prix à moyen terme - ne peut en outre s'en trouver compromis.
La conférence annuelle de la Banque mondiale et du FMI qui s'est tenue la semaine dernière a consacré une large part de ses débats au changement climatique et au rôle de la politique monétaire, ce qui reflète l'intérêt croissant des décideurs politiques pour le sujet. Ainsi, Mark Carney, le gouverneur de la Banque d'Angleterre, a lancé en 2017 le Network for Greening the Financial System (NGFS) et la future présidente de la BCE, Christine Lagarde, fait de la lutte contre les conséquences du changement climatique l'une de ses priorités politiques.
Les événements liés au climat vont influencer la politique monétaire conventionnelle de plusieurs façons. Étant donné qu'ils attisent la volatilité globale, ils compliquent la détection des chocs économiques par les banques centrales. Il importe en outre d'autant plus de déterminer la nature exacte d'un choc car les événements liés au climat sont souvent des chocs d'offre. Contrairement aux chocs de demande, ils entraînent un 'trade-off' de la banque centrale entre stabilisation de l'inflation et croissance économique. Ensuite, les chocs liés au climat seront assez durables. Contrairement aux chocs temporaires, les chocs permanents laissent aux banques centrales moins de latitude pour les déceler, de sorte qu'elles devront intervenir plus souvent à l'avenir. Enfin, les chocs extrêmes deviennent plus probables. En statistique, ces 'distributions à queue lourde' sont alimentées par le fait que les risques liés au climat sont plus systémiques et moins spécifiques aux pays ou aux secteurs. Pour réagir de manière appropriée, les banques centrales devront à l'avenir opérer des changements de politique plus radicaux. Les possibilités en termes de politique monétaire seront donc plus souvent épuisées, ce qui rendra les mesures non conventionnelles incontournables.
Toutes ces considérations s'inscrivent dans le cadre traditionnel des banques centrales qui recherchent la stabilité des prix, le changement climatique étant une source supplémentaire de chocs économiques. Une autre question conceptuelle est de savoir si la politique monétaire doit agir de manière proactive dans ce contexte.
L'argument en faveur d'une intervention politique
L'argument économique en faveur d'une intervention politique liée au climat est fondé sur la défaillance du marché libre. Le changement climatique est une 'externalité' négative de la production et/ou de la consommation de biens et services à forte intensité de carbone. Tous les coûts de ces activités ne sont pas intégrés dans les prix du marché, ce qui entraîne une surproduction inefficace et une surconsommation. En revanche, nous pouvons également considérer la prévention des changements climatiques néfastes comme un 'bien public'. Les prix actuels du marché ne tiennent pas compte de tous les avantages futurs du maintien d'un climat durable. Mark Carney parle de la 'tragédie de l'horizon': les transactions de marché actuelles ignorent largement les coûts liés au climat pour les générations futures, ce qui engendre également une présentation erronée des risques financiers dans les bilans des entreprises. Ces risques comprennent les risques physiques (tels que les dommages directs causés par les inondations ou la sécheresse), les risques transitoires (tels que les coûts d'adaptation des infrastructures aux technologies à faibles émissions) et les risques de responsabilité.
À cet égard, les banques centrales peuvent jouer un rôle de contrôle du secteur bancaire en intégrant le risque climatique dans le calcul des actifs pondérés en fonction des risques, dans les règles de constitution de garanties pour les opérations de prise en pension et dans les stress tests pertinents. Tout cela repose toutefois sur l'hypothèse que les risques et les coûts financiers liés au climat, y compris à long terme, peuvent être quantifiés avec une précision acceptable, ce qui est loin d'être évident et appelle à la prudence dans l'introduction de nouveaux rapports et règles financiers. Ceux-ci génèrent en effet non seulement des coûts supplémentaires, mais ils menacent aussi de déstabiliser le secteur s’ils sont fondés sur des informations incomplètes sur les coûts et les risques liés au climat.
Politique monétaire contre politique budgétaire
Il n'y a pas de consensus sur l'élargissement du rôle de la politique monétaire. Les économistes s'accordent au contraire à dire que la problématique du climat relève de la politique budgétaire et non de la politique monétaire. La réaction politique de premier rang consiste à taxer les émissions de carbone conjointement avec la subsidiation d'une R&D respectueuse du climat.
La politique monétaire peut jouer un rôle en l’absence d’une option budgétaire. Ce rôle proactif de la BCE pourrait être compatible avec son mandat. Une fois la stabilité des prix atteinte, ce mandat exige en effet que la BCE soutienne les objectifs généraux de politique économique de l'UE. La question de savoir si cette mission couvre également le domaine du changement climatique fait partie du débat: elle est en tout cas sujette à interprétation, étant donné que le mandat de la BCE prévoit aussi qu'elle doit agir conformément au principe d'une économie de marché avec libre concurrence.
L'intervention la plus controversée des banques centrales serait 'l'assouplissement quantitatif vert'. Soutenues en principe par des ressources financières illimitées, les banques centrales pourraient acheter des obligations 'vertes' à des entreprises ou, par exemple, à la Banque européenne d'investissement. Mais si la protection du climat est un objectif de politique monétaire acceptable, pourquoi la lutte contre la pauvreté ou l'accélération de la convergence économique dans l'UE ne le seraient-elles pas également (voir aussi l'Opinion économique KBC du 21 juin 2019)? En réalité, il n'y a pas de 'free lunch', même pour les banques centrales. Aujourd'hui, une inflation excessive n'est pas un problème dans la zone euro, bien au contraire, mais à l'avenir, un 'trade-off' pourrait s'opérer entre la réalisation de l'objectif d'inflation et la mise en œuvre de programmes d'achat liés au climat. L'indépendance de la banque centrale serait alors en jeu.
Dans une étude récente de Bruegel, Dirk Schoenmaker plaide pour une sélection respectueuse du climat dans la composition du portefeuille des programmes d'achat existants. Il y explique que les secteurs à forte intensité de capital et de carbone sont surreprésentés sur le marché financier, de sorte qu'un programme d'achat neutre sur le marché n'est pas vraiment neutre en carbone. Le manque de liquidité du marché européen des obligations d'entreprises pour un programme d'achat significatif constitue cependant un problème pratique, si l'on exclut les secteurs à forte intensité de carbone. Le gouverneur de la BCE, Yves Mersch, objecte plus fondamentalement qu'il n'existe actuellement aucune définition généralement acceptée de ce qui est 'vert' et 'durable'. Il avertit qu'un engouement pour les actifs financiers verts pourrait conduire à une sous-estimation de leurs risques et qualifie le risque de bulle de 'risque Ponzi du marché financier vert'.
Quel que soit le rôle précis de la BCE, son objectif premier de stabilité des prix à moyen terme ne devrait jamais s'en trouver compromis.