L'UE doit sauver les négociations sur le Brexit étape par étape

Les négociations sur le Brexit entre le Royaume-Uni et l'Union européenne doivent être finalisées cette année. L'adhésion britannique à l'UE prend en effet fin le 29 mars 2019. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les négociations ne se déroulent pas sans heurts ; nous pensons avant tout au chaos et aux désaccords politiques britanniques internes. Mais l'UE n'est pas exempte de toute faute. Le jeu politique actuel est franchement scandaleux, non professionnel, et risque bien de provoquer d'importants dommages tant pour le Royaume-Uni que pour l'UE. L'UE doit trouver des solutions proactives. Viser un accord universel est irréaliste et crée de grandes incertitudes, sans parler des coûts d'adaptation inutiles. Il est essentiel de trouver des accords partiels et de prévoir des plannings réalistes. Il est grand temps de changer radicalement d'approche.

Désaccord européen

Le 18 septembre dernier, les chefs d'État et de gouvernement européens se sont rencontrés à Vienne, sans le Royaume-Uni, afin de discuter du Brexit. Et de nouveau, force est de constater que les avis divergent au sein de l'UE. Les principaux partenaires commerciaux du Royaume-Uni - en particulier les petites économies comme l'Irlande, les Pays-Bas, le Danemark et, dans une certaine mesure, la Belgique indécise - plaident pour un Brexit doux. Il faut dire que plusieurs études montrent que ce sont ces pays-là qui ont le plus à perdre dans le Brexit. La France et l'Allemagne considèrent le Brexit comme une opportunité pour élargir leurs intérêts au sein de l'UE, et comme un dossier symbolique pour punir les membres dissidents pour leur tentative d'obtenir la souveraineté nationale. D'autres pays, dont les nouveaux États membres en Europe centrale et de l'Est, ne se sont jamais montrés très intéressés par le Brexit, pensant - à tort - que l'impact sur leur économie sera limité. Reste à voir s'ils seront du même avis lorsqu'ils constateront que moins de capitaux européens affluent vers leur Trésor ou lorsqu'ils écouleront moins de voitures d'Europe de l'Est sur le marché britannique. Les États membres d'Europe méridionale ont quant à eux suffisamment de soucis pour se préoccuper du Brexit. Compte tenu de ce désaccord au sein de l'Union des 27, le mandat du principal négociateur Michel Barnier reste vague. Barnier ne brille pas par sa créativité mais semble plutôt attendre des propositions britanniques, qui sont ensuite critiquées par les experts. En même temps, d'aucuns savent que Michel Barnier sera nommé candidat à la présidence de la Commission européenne ou à une autre fonction de premier rang. Cette ambition semble à l'origine d'une forte pulsion de profilage dans les négociations sur le Brexit, sans résultat concret jusqu'ici, il faut bien le dire. Attribuer le manque d'avancées dans les négociations à la seule politique britannique semble dès lors terriblement exagéré. L'UE a également sa part de responsabilité.

En outre, l'UE, et en particulier la Commission européenne, est la mieux placée pour élaborer un accord équilibré sur le Brexit. Les directions générales de la Commission européenne bénéficient de l'aide des plus grands spécialistes en termes de politique commerciale, d'investissements internationaux, de marché interne, etc. Ces spécialistes doivent être placés à la barre si l'on veut accélérer les négociations et ôter tout risque d'un non-deal ou d'un Brexit dur. Ce qui ne porte aucun préjudice à la souveraineté du Royaume-Uni. Un bon accord est en effet avantageux tant pour l'UE que pour le Royaume-Uni,

un fait qu'a également constaté le FMI cette semaine. Le FMI a mis en garde une fois encore contre l'impact négatif qu'aurait un non-deal. Selon les nouveaux calculs du FMI, une telle issue coûterait 1,5% de croissance à l'économie européenne, une statistique nettement supérieure à celles mises en avant dans des études précédentes. La Bank of England a pour sa part estimé le recul de la croissance britannique à 1,5%-2%. Dans un discours quasiment émotionnel, la patronne du FMI Christine Lagarde a appelé le Royaume-Uni et l'UE à prendre leurs responsabilités historiques. Si l'appel du FMI est louable, il arrive franchement tard. L'organisation internationale a de surcroît perdu beaucoup de crédibilité en prédisant à l'époque que le Brexit n'aurait pas lieu et que l'économie britannique s'effondrerait après le référendum. Rien n'était en effet moins vrai : l'économie britannique a continué d'aligner d'excellentes performances ces deux dernières années. À plus long terme, le FMI a sans doute raison. Une séparation dure limitera les possibilités de croissance des économies britannique et européenne en raison d'un accès moins aisé à chacun des marchés, d'une divergence en matière de réglementation et d'un manque général de coordination politique.

Et le paysan continuait de labourer...

Le monde des entreprises européennes semble actuellement le plus grand partisan d'une solution rapide et claire, de préférence en faveur d'un Brexit doux. Force est néanmoins de constater que de plus en plus de secteurs et d'entreprises prennent leurs précautions dans l'hypothèse d'un non-deal. Ce réalisme honore le monde des entreprises mais signifie aussi des coûts d'adaptation, p. ex. pour sécuriser une chaîne d'approvisionnement internationale efficiente. Les investissements étrangers au Royaume-Uni restent considérables mais ont perdu de l'ampleur, preuve que les entreprises européennes se positionnent spécifiquement et distinctement devant le marché britannique. Les grandes entreprises européennes se préparent donc clairement et tiennent compte des grandes incertitudes.

Et l'incertitude n'est malheureusement jamais un bon terreau pour l'économie. Faire preuve de prudence est sage mais estomper les incertitudes est une bien meilleure solution. C'est pour cette raison que l'UE des 27 doit prendre l'initiative et accélérer les négociations sur le Brexit.

Étape par étape

Jusqu'ici, l'UE des 27 suit le principe qu'il n'y a pas d'accord de séparation avec le Royaume-Uni tant que l'accord est incomplet. Et l'accord antérieur prévoyant une période de transition jusqu'à fin 2020 est de ce fait remis en question. L'incertitude en est devenue d'autant plus grande. Mieux vaudrait finaliser quelques accords partiels le plus rapidement possible. Des accords sont possibles pour certaines matières. Le libre-échange pour les biens industriels en est un bon exemple. Si l'on n'accepte pas ce principe, les taux de la Most Favoured Nation de l'Organisation mondiale du commerce seront en vigueur pour le commerce de biens britanniques et européens. Ces taux sont bas, du moins pour la plupart des produits industriels, mais ils représentent une importante surcharge administrative pour les entreprises et des frais logistiques pour les autorités pour la mise en place de bureaux de douane. Il ne faut pas faire du libre-échange des biens un enjeu dans un jeu de négociation stratégique plus large, mais l'accepter comme un principe de base. Une telle approche permettrait aussi de solutionner le problème de la frontière Irlande-Irlande du Nord en supprimant les contrôles frontaliers physiques.

Pour d'autres matières, il est essentiel de prendre conscience que le temps qui reste pour les négociations est trop court pour conclure des accords détaillés. Il est par conséquent crucial d'aménager un planning réaliste et, en attendant, de prolonger la situation actuelle - en ce compris la sécurité juridique. Autrement dit, de conclure différents accords de transition pour dissiper les incertitudes à moyen terme.

(No-)Brexit

Alors que le risque d'un non-deal augmente, l'appel visant à renoncer au Brexit ou à organiser un nouveau référendum se fait de plus en plus fort. Aussi attrayant ce scénario puisse-t-il paraître dans le chaos actuel, remonter le temps serait toujours considéré comme une méconnaissance de la voix démocratique du peuple britannique. Nous devrons ceci dit laisser la porte européenne ouverte au Royaume-Uni. La société britannique évolue elle aussi. Lors du référendum, certaines parties du Royaume-Uni ont clairement voté contre le Brexit (p. ex. Londres et l'Écosse), tout comme la jeune génération. Quoi qu'il en soit, arrangeons-nous pour que l'accord de séparation prévoie que le Brexit actuel ne signifie pas une séparation éternelle.

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