Une inflation n'est pas l'autre

Opinion économique

Les événements économiques récents, tels que le sommet temporaire des prix du pétrole et les conflits commerciaux actuels, nous rappellent que le prochain ralentissement de la croissance pourrait s'accompagner d'une accélération plutôt que d'une décélération de l'inflation. Cela ne serait cependant pas le type d'inflation souhaité par les banques centrales car celle-ci impliquerait un appauvrissement de l'économie dans son ensemble, lié à la double perte de richesse consécutive à un essoufflement de la croissance et à une accélération de l'inflation. La BCE pourrait alors se voir contrainte de resserrer sa politique monétaire afin de maintenir la stabilité des prix, son premier objectif, et ne pourrait ainsi contribuer à la stabilisation de la croissance économique. Récemment, les prix du pétrole ont cependant à nouveau plongé, ce qui illustre le caractère temporaire de ce choc. Les risques de stagflation consécutifs aux conflits commerciaux actuels n'en restent pas moins en bonne place sur les écrans radars.

La révision du cadre politique tant de la Réserve fédérale (Fed) que de la BCE figure en haut de l'agenda 2020. Un objectif important consiste pour les banques centrales à évaluer leur réponse à la crise financière au cours de la dernière décennie et à vérifier si elles sont suffisamment préparées pour réagir à une nouvelle récession, voire même à une nouvelle crise financière.

L'on suppose généralement dans ce débat que le prochain ralentissement de la croissance économique s'accompagnera d'une décélération de l'inflation et de la nécessité pour les banques centrales d'abaisser (à nouveau) leur taux directeur. Il n'y a pas de consensus général sur la question de savoir si les banques centrales ont suffisamment de 'munitions' ou la marge de manœuvre nécessaire pour assouplir leur politique si cela s'avérait nécessaire. La récente communication de la BCE, dans laquelle elle appelle à un renforcement du rôle de la politique budgétaire, suggère que cela pourrait relever du défi. L'ancien président de la Fed, Ben Bernanke, a en revanche démontré début janvier que la Fed pouvait soutenir efficacement une économie en récession grâce à un mix de mesures d'assouplissement quantitatif, de communication (orientation prospective) et de réductions explicites du taux directeur.

La prochaine récession pourrait être différente...

Cette discussion sur la question de savoir si l'arsenal de la politique monétaire est à moitié plein ou à moitié vide semble quelque peu simpliste. La prochaine récession, tant aux États-Unis que dans la zone euro, pourrait ne pas être provoquée par un affaiblissement de la demande macroéconomique, mais plutôt par la détérioration des conditions de l'offre dans l'économie. Ces 'chocs négatifs de l'offre' se sont déjà produits précédemment dans l'histoire économique, l'exemple le plus connu étant le double choc négatif des prix du pétrole dans les années 1970. Dans l'économie mondiale actuelle, de tels chocs négatifs pourraient à nouveau être déclenchés par une hausse permanente des prix du pétrole si la crise au Moyen-Orient provoque des perturbations physiques importantes et persistantes de l'approvisionnement en pétrole. En outre, la montée mondiale du protectionnisme, qui s'est accélérée au cours des deux dernières années, en est une autre cause possible.

La distinction entre les ralentissements de croissance induits par l'offre et ceux induits par la demande est importante car ils présentent des caractéristiques différentes et nécessitent donc une autre réaction de la politique monétaire. Contrairement aux chocs négatifs de la demande, un ralentissement économique consécutif à un choc négatif persistant de l'offre s'accompagne d'une accélération plutôt que d'une décélération de l'inflation. Le potentiel de croissance économique est en effet affecté négativement par des coûts de production plus élevés et des distorsions dans l'allocation efficace des ressources. En réaction, l'inflation augmente et si le choc négatif persiste, les prévisions d'inflation risquent de s'accélérer également.
La trajectoire inflationniste consécutive à un choc négatif durable de l'offre implique également une réaction différente de la politique monétaire. La question pertinente n'est alors plus de savoir si les banques centrales disposent encore de suffisamment d'armes pour assouplir le climat monétaire, mais bien de se demander si les banques centrales sont effectivement prêtes à resserrer leur politique monétaire, ainsi que le fit la Bundesbank lorsqu'elle fut confrontée à des chocs d'offre négatifs dans les années 1970 (flambée des prix du pétrole) et au début des années 1990 (union monétaire allemande). Les prévisions d'inflation en hausse pourraient en effet s'autoalimenter étant donné qu'elles se répercutent sur les négociations sur les salaires nominaux (ce qu'on appelle l'effet de second tour). Si cet effet n'est pas contrôlé, il pourrait exacerber les effets du choc initial sur la croissance économique (à la baisse) et l'inflation (à la hausse). Par conséquent, pour empêcher les prévisions d'inflation d'entrer dans une telle spirale auto-entretenue, les banques centrales doivent réagir en temps utile en resserrant leur politique, malgré la détérioration du contexte de croissance.

Une mauvaise forme d'inflation

À première vue, la hausse de l'inflation est favorable pour deux raisons, en particulier dans la zone euro. Premièrement, l'inflation se rapprocherait de l'objectif à moyen terme de la BCE, soit un niveau inférieur mais proche de 2%. Deuxièmement, une inflation plus élevée donnerait à la BCE une certaine marge de manœuvre pour normaliser sa politique, ce qui lui permettrait d'abandonner son taux directeur négatif. Enfin, cela stimulerait également les taux obligataires et raidirait la courbe des taux. En d'autres termes, la BCE aurait la possibilité d'atténuer un certain nombre d'effets secondaires négatifs de la politique monétaire sur l'économie réelle et le secteur financier.

À y regarder de plus près, la normalisation de la politique, qui est une bonne chose en soi, s'effectuerait dans un contexte défavorable. Dans ce cas, l'accélération de l'inflation, qui permet la normalisation de la politique monétaire, refléterait en effet un appauvrissement général de l'économie. Ainsi, la hausse persistante des prix du pétrole équivaut en réalité à un transfert de richesse des économies importatrices de pétrole vers les économies exportatrices de pétrole. De même, la montée du protectionnisme appauvrit l'économie via la hausse des prix des biens de consommation importés, l'augmentation des coûts de production pour les entreprises nationales et, en général, une allocation moins efficace des facteurs de production.
Après avoir atteint brièvement un sommet à 70 USD au plus fort de la tension politique entre les États-Unis et l'Iran, le prix du baril de pétrole est rapidement retombé sous les 65 USD. Le choc de hausse du prix du pétrole a donc été très temporaire et trop bref pour avoir un impact significatif sur la croissance économique et l'inflation. Les banques centrales n'y réagiront donc pas. Le risque que l'économie européenne soit frappée par un choc d'offre négatif à l'avenir n'est toutefois pas négligeable, même si l'impact économique ne doit pas nécessairement être spectaculaire. En ce qui concerne les prix du pétrole, la zone euro a réduit sa dépendance énergétique d'environ 30% sur les 25 dernières années, grâce à une efficacité énergétique accrue et à l'accroissement de la part des services dans le PIB. Cela suggère que l'ampleur d'un choc du prix du pétrole doit maintenant être sensiblement plus élevée pour avoir le même impact économique que par le passé. La persistance d'un choc de hausse des prix significatif est également rendue moins probable par la technologie du pétrole de schiste, qui alimente une offre de pétrole très sensible aux prix.

En revanche, les conflits commerciaux mondiaux constituent actuellement un risque beaucoup plus probable pour l'économie mondiale. En cas de nouvelle escalade, ils risquent de provoquer un choc d'offre négatif important et permanent pour l'économie européenne.
 

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