OPEP+ : un accord flou pour faire remonter la production
Une réunion de l’OPEP+ suivie de près par de nombreux observateurs s’est tenue à Vienne vendredi et samedi derniers. Bien que l’augmentation de production attendue ait été décidée, le communiqué final, formulé dans un langage flou, semble indiquer un désaccord au sein du cartel. L’accent est mis sur le retour à la conformité avec les baisses de production initiales. Tandis que l’Iran interprète l’accord comme une augmentation limitée de la production dans le respect des quotas de chaque pays, l’Arabie saoudite et la Russie l’interprètent de manière plus souple en parlant d’un quota collectif. C’est pourquoi l’augmentation totale de la production devrait être supérieure aux prévisions pour atteindre 1 million de barils par jour. Cela devrait apaiser les tensions sur le marché et entraîner une diminution du prix du pétrole d’ici fin 2018.
En novembre 2016, après la formation d’une alliance improbable entre l’Arabie saoudite et la Russie pour écouler le stock de pétrole excédentaire à l’échelle mondiale, seule une poignée d’analystes considéraient cette collaboration comme réaliste. En effet, l’OPEP jouit traditionnellement d’une mauvaise réputation s’agissant du respect de ses quotas de production. En outre, les précédentes collaborations entre l’OPEP et la Russie ont souvent mené à une impasse. Contre toute attente, plus d’un an et demi plus tard, un groupe de 24 pays se réunit à Vienne sous l’appellation OPEP+ en ayant atteint ses objectifs. Aidés par l’effondrement de l’économie vénézuélienne, les pays sont parvenus à dépasser largement leurs objectifs avec une réduction de production de 1,8 million de barils par jour (147% en mai). Ce faisant, le stock de pétrole mondial a été ramené à la moyenne des cinq dernières années (figure 1). Cette situation a entraîné une pénurie de pétrole dont le prix a augmenté de 60% depuis l’entrée en vigueur de l’accord, pour s’établir aujourd’hui à environ 75 dollars le baril.
Figure 1 - l’OPEP a limité sa production au-delà de ce qui avait été convenu (en millions de barils par jour)
Comme le prévient l’Agence internationale de l’énergie, il serait étonnant qu’une telle hausse des prix n’ait pas d’impact sur l’évolution de la demande. En outre, le marché du pétrole fait face d’une part, comme évoqué précédemment, à l’effondrement de la production vénézuélienne qui a diminué de 600.000 barils par jour par rapport à l’année dernière, et d’autre part à une incertitude croissante autour des livraisons de pétrole iranien à la suite des sanctions américaines. Il n’est donc pas étonnant que la Russie, sous la pression de ses multinationales pétrolières, et l’Arabie saoudite, poussée par le président américain Donald Trump, souhaitent ouvrir les vannes de leurs oléoducs. Ce n’est toutefois pas le cas de l’Iran et du Venezuela qui, pour diverses raisons, ne disposent pas d’une capacité suffisante pour augmenter leur production.
À Vienne, il a donc fallu négocier pour concilier ces intérêts concurrents, donnant lieu à l’une des réunions avec la plus forte dimension politique de ces dernières années. En outre, le conflit interne entre les alliances Arabie saoudite-Russie et Iran-Vénézuela a été attisé par les récentes interventions du président américain Donald Trump. D’une part, celui-ci garde une ligne de conduite ferme à l’égard du dernier groupe et, d’autre part, il s’est clairement opposé à l’augmentation "artificielle" des prix du pétrole. C’est la raison pour laquelle, lors de la réunion, le président américain a été vivement critiqué pour son ingérence dans la politique du cartel. La vérité est que Donald Trump a su exercer une pression étonnamment efficace sur l’Arabie saoudite à un moment où la reconduction de son mandat présidentiel était mise à mal par la hausse des prix du carburant.
Un accord, plusieurs interprétations
La réunion de Vienne est parvenue à concilier ces intérêts concurrents, du moins sur papier. Le communiqué final est à ce point vague qu’il permet d’interpréter l’accord de plusieurs manières. En réalité, seul un accord flou, sans chiffres concrets, pouvait concilier des intérêts aussi divergents. La principale décision est le retour à la conformité avec les réductions de production convenues initialement, en d’autres termes, la disparition des limitations de production excessives. Cela représenterait la mise sur le marché de 700.000 barils supplémentaires par jour. Cependant, l’Iran considère que la production (réelle) mise sur le marché sera inférieure, car elle interprète l’accord dans le cadre des quotas de production qui avaient été convenus spécifiquement pour chaque pays. Cela permettrait d’éviter la compensation des pertes de production subies par d’autres états membres comme le Vénézuéla ou même l’Iran. Par ailleurs, l’interprétation présentée par l’Arabie saoudite un jour plus tard suggère une autre conclusion. Le ministre saoudien de l’Énergie, Khalid Al-Falih, a indiqué que sa position était de respecter ce dont le marché avait besoin et que les Saoudiens mettraient tout en œuvre pour préserver l’équilibre du marché. En d’autres termes, l’Arabie saoudite et la Russie ne se lient pas à des objectifs individuels, mais à un quota global collectif. Avec l’abandon de l’allocation proportionnelle, les Saoudiens tablent sur une augmentation de la production globale de 1 million de barils par jour à partir de juillet, ce qui représente plus de 1 pour cent de l’offre mondiale.
Alliance Arabie saoudite-Russie en position de force et baisse des prix du pétrole
Qui est le grand gagnant de la réunion de la semaine dernière et quelles sont les conséquences pour le marché pétrolier? Vendredi, tout le monde aurait parié sur l’Iran étant donné les perspectives relativement modestes d’augmentation de la production. Cependant, samedi, de nouvelles informations ont fait clairement apparaître que l’Arabie saoudite et la Russie avaient obtenu ce qu’elles voulaient. Les deux plus grands exportateurs de pétrole au monde n’occupent ni plus ni moins qu’une position dominante qui leur permet de déterminer l’orientation stratégique du cartel. En effet, ils font partie des quelques producteurs dont la capacité de production est en grande partie inexploitée. En fin de compte, non seulement les Saoudiens vont faire le bonheur du président américain, mais les Russes vont en plus augmenter leur part de marché au détriment d’autres producteurs. Ils vont également créer sur le marché du pétrole une offre excédentaire et ainsi créer un tampon tombant à point nommé (figure 2). Au bout du compte, avec 1 million de barils de pétrole brut supplémentaires par jour, le marché devrait afficher une offre à l’excédent confortable, ce qui devrait entraîner une baisse des prix du pétrole d’ici fin 2018.